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son épée dans la balance de la vie. La jeunesse fait plus encore : elle entre de tout son poids dans le plateau, et rompt l’équilibre : ce n’est qu’à cette saison de la force, que les hommes sont capables de mourir pour une idée vague, et les femmes de tuer pour une sensation.

Trop souvent, le théâtre confie aux vieillards un emploi héroïque ; c’est l’erreur qui empêche tant de gens de croire à la tragédie : peu d’hommes se persuadent qu’il y en ait qui veulent mourir pour une idée, ou souffrir pour elle, ou faire souffrir. Que ne leur fait-on voir des héros dans la force de l’âge ? — Les vieillards ont l’apanage légitime de la sagesse. Mais la sagesse n’est pas scénique : elle est pleine de calme, en son essence, sereine et presque indifférente. Elle contemple, qui est le contraire d’agir. Les beaux vieillards ne sont à leur place que sur le théâtre des dieux. La scène humaine est aux fous. Les héros sont des fous qu’on admire. Encore ne les admire-t-on pas toujours ; et même le siècle veut qu’on les méprise.

Qu’Ibsen soit loué de n’avoir pas fait tourner toute la vie des idées et des hommes autour des petits enfans. Sans qu’on les y voie, le théâtre moderne n’est plein que de ces minces créatures ; et ce n’est encore rien auprès de l’embarras qu’ils donnent en tous lieux, hormis à la campagne. Ils ne sont pas peu responsables de la mollesse universelle. Ce sont les germes destructeurs de l’énergie ; près d’eux, elle s’use et se prodigue en menuailles ; le grand amour tombe en poussière de soucis.

On s’imagine que la pratique d’une tendresse égoïste corrobore la valeur personnelle de l’homme. Quelle erreur : l’égoïsme des mères et des pères, en général, énerve toutes les vertus au profit d’une seule. Ce qu’ils ont de vigueur pour penser et pour agir descend au bégaiement de la chambre aux jouets ; ils ne peuvent pas faire croître d’un coup le cœur ni l’esprit des enfans ; mais ils abaissent les leurs au niveau de ces dieux dans les langes : et même les passions se rapetissent à l’image de ces petits. Il arrive, en outre, que les hommes se font une arme de leurs enfans contre les femmes, qui s’arment éternellement de leurs enfans contre les hommes : parodie de toutes les grandes luttes ; parodie même de crimes.

On peut aimer les enfans, comme ils le méritent ; on peut s’y plaire, ce sont les fleurs de la forêt. Mais le monde ne saurait pas tenir dans ces petites mains ; faut-il que les plus belles