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se sent plus menacé par les Prussiens, il juge l’ennemi plus redoutable. Le Russe a l’élan, l’audace ; l’Autrichien recule, mais ne s’égare point en déroute. Le Prussien est arrogant ; ses troupes sont intactes. C’est une armée que Napoléon a devant lui, s’il ne prévient pas la jonction des Russes et des Autrichiens ; c’est une autre armée, la prussienne, qui le menace sur ses flancs. Le 27 octobre, il écrit à Joseph : « Avant quinze jours, j’aurai en tête 100 000 Russes et 60 000 Autrichiens, venus soit d’Italie, soit des autres corps... La Prusse se conduit d’une manière assez équivoque... Si la guerre se prolonge, il faut que je calcule sur une forte armée à laisser dans le Nord, pour protéger la Hollande. »

C’est que, de Berlin, on ne lui écrit plus ; depuis quinze jours il est sans nouvelles. Il décide de rappeler Duroc, l’alliance étant manquée, mais, en se retirant, Duroc fera un dernier effort d’accommodement, doublé de menaces. Il demandera une audience de congé, et dira au roi : « Sire, vous avez dans l’Empereur un ami capable de venir des extrémités du monde à votre secours. L’Empereur est peu connu en Europe : c’est plus un homme de cœur encore qu’un homme de politique. » Laforest remettra une note à Hardenberg : « L’Empereur ne tient pas au Hanovre ; mais il faut qu’on y mette des formes ;... il est incalculable ce que peut faire l’Empereur... L’Empereur sait bien que Frédéric, avec la Prusse, a résisté à l’Europe entière ; il vaut mieux que Frédéric, et la France que la Prusse ; le Comité de Salut public a résisté aussi à l’Europe entière, et tout le monde sait que l’Empereur a des armées différentes de celles du Comité de Salut public[1]. »

Prévoyant un coup de main sur le Hanovre, il ordonne au général Barbou, qui y commande, de s’enfermer dans les forteresses, de n’en laisser approcher personne, de ne rendre Hameln que sur un ordre de lui, porté par un de ses aides de camp. « Je ne pense pas, écrit-il à Otto, à Munich, que les Prussiens aient l’audace de se porter en Hanovre pour arracher mes aigles ; cela ne pourrait se faire sans du sang. Les drapeaux français n’ont jamais souffert d’affront. Je ne tiens pas au Hanovre ; mais je tiens à l’honneur plus qu’à la vie. »

Ce même sentiment, l’honneur des armes, l’honneur monarchique, jetait alors la Prusse dans la coalition.

  1. A Duroc, à Otto, 24 octobre 1805.