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A Vienne, ce même jour, 1er décembre, Talleyrand reçut Stadion et Giulay. Il leur présenta un projet de traité, rédigé d’après les instructions de Napoléon, du 30 novembre. Les Autrichiens attendaient Haugwitz. Il arriva le jour même, et conféra trois heures avec Talleyrand ; très poli, « poussant la politesse jusqu’à porter tout le jour dans Vienne le grand cordon de la Légion d’honneur par-dessus son habit ; » protestant de son attachement personnel au système français et de son respect pour Sa Majesté l’empereur Napoléon ; sauf, toutefois, en ce qui concernait les trois électeurs, alliés de la France : — Cela, disait-il, dérange tout le système de l’Allemagne ; plus que réservé, enfin, sur l’article des engagemens entre son maître et les alliés. « Ce qu’on a faussement appelé la convention du 3 novembre, dit-il à Talleyrand, est une simple déclaration portant offre de bons offices et de médiation, mais sans mélange d’aucun engagement hostile ou même comminatoire contre qui que ce soit. » Talleyrand le crut[1]. « Je suis content de M. Haugwitz. Il n’y a point eu de traité le 3 novembre, » manda-t-il à son confident, Hauterive. Haugwitz, d’ailleurs, ne se montrait nullement pressé. « Il paraît être venu plutôt pour attendre les événemens que dans une autre vue. » — » Si, dit-il à Talleyrand, en le quittant, vous avez besoin de moi pour vous entendre avec la Cour de Vienne, je serai toujours à vos ordres. »

Napoléon n’avait pas séparé l’Autriche de la Russie, il n’avait arrêté la Prusse que pour quelques journées. « Chaque jour, dit un témoin, accroissait le danger de notre situation isolée et si lointaine. » Napoléon dispose de 82 000 hommes ; l’ennemi lui en oppose 90 000. L’archiduc Ferdinand et 20 000 Autrichiens s’avancent en Bohême sur ses derrières ; l’archiduc Charles réunira, vers le milieu de décembre, 80 000 hommes sous Vienne. A la même époque, les Prussiens seront prêts : ils mettront, avec les Saxons et les Hessois, 240 000 hommes sur pied, dont 120 000, le gros de leur armée, en Franconie, vers Ingolstadt, barrant la vallée du Danube et prenant Napoléon à revers. Une bataille différée équivaut pour lui à une bataille perdue ; une bataille perdue, c’est la « retraite précipitée, » tournant vite à la déroute, à la destruction, un Trafalgar continental. « Jamais, dit Metternich,

  1. Laforest, depuis le 23 novembre, ne le croyait plus ; mais ses informations n’étaient pas encore arrivées.