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IV

Haugwitz parti, Napoléon reçut la réponse d’Alexandre. Savary s’était présenté chez le tsar, le 27. L’accueil fut poli, mais froid. Il convenait à ce moment-là au tsar, restaurateur du droit monarchique, de se rappeler que Savary avait joué dans le drame de Vincennes le personnage du destin, et d’oublier que Benningsen commandait un des corps de l’armée alliée pour venger le sang des rois. Il répondit par une lettre de sa main, de quelques lignes, toute en formules insignifiantes ; mais l’adresse ne l’était pas, et, à soi seule, elle valait tout un message : « Au chef du gouvernement français. » Point de sire, encore moins de frère et, pour salut : « Ma plus haute considération ; » alors que Napoléon avait employé la formule solennelle : « Sur ce, je prie Dieu... » Au départ, Novossiltsof se présenta pour accompagner Savary, se disant chargé d’une mission diplomatique : cette mission exigeait qu’il se mît en rapports avec Haugwitz. Savary, qui connaissait le métier, refusa de lui faciliter cette « reconnaissance. »

Autour d’Alexandre la jeunesse poussait à l’offensive. Napoléon s’était enfoncé dans l’impasse ! Le tsar, si inquiet naguère, brûlait désormais de recevoir le baptême du feu, et de donner au Corse, pour son coup d’essai, une leçon à la Souvorof. Il écrivit au roi de Prusse[1] : « C’est à Votre Majesté qu’on devra le salut de la bonne cause ; mais je ne saurais assez répéter à Votre Majesté combien les momens sont précieux, et peut-être parviendrons-nous, dans une seule campagne, à faire finir la guerre, par la position aventurée dans laquelle se trouve Bonaparte. »

L’impression rapportée à Napoléon par Savary fut qu’une « trentaine de freluquets » menait Alexandre et ses armées ; « que la présomption, l’imprudence et l’inconsidération régnaient dans les décisions du Cabinet militaire, comme elles avaient régné dans celles du Cabinet politique. » Ils se croyaient irrésistibles, se flattaient de la supériorité numérique. Une bataille immédiate était dans les intérêts de Napoléon et il s’y préparait. Jugeant que les Russes chercheraient à le couper de Vienne, il affecta de reculer, les attirant ainsi dans la direction qu’ils voulaient prendre,

  1. 28 novembre 1805.