Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voit la jeune fille, lui fait signe, et lui dit simplement : « Montez ! » La jeune fille monte, et la voilà disparue pour plus d’un an. Après quoi, un matin, la même diligence revient, et le jeune homme, qui s’y retrouve avec sa conquête, lui dit seulement : « Descendez ! » Elle descend, la diligence repart, la laisse, et voilà la jeune personne plantée là pour tout le reste de son existence. Et pourquoi, comment cette jeune fille monte-t-elle aussi facilement dans les diligences ? On ne sait pas. Elle y monte parce qu’elle y monte ! Et comment, pourquoi en redescend-elle aussi inconsidérément ? On ne sait pas non plus. Elle en redescend parce qu’elle en redescend ! Pareillement, dans Haine d’amour, une marquise a une femme de chambre qui est le mérite même. Mais cette femme de chambre, avec tout son mérite, n’en a pas moins eu un fils d’un comte qu’elle paraît n’avoir qu’entrevu. Elle est la meilleure des mères, la plus sensée, la plus tendre, et son fils, élevé par la plus méritoire des mères, devient plus tard un excellent musicien. Maintenant, comment cette fille si accomplie a-t-elle aussi facilement cédé à ce comte ? Mystère. On l’ignore aussi. Inutile même de le savoir. Elle lui a cédé parce qu’elle lui a cédé ! Et vous voyez encore, dans le même feuilleton, une autre perfection de femme et de jeune fille devenir la maîtresse d’un chevalier d’industrie. Elle le prend pour amant en le croyant riche, et le quitte en s’apercevant qu’il ne l’est pas, mais n’en est pas moins toujours et continuellement idéale ! Enfin, dans Dette sacrée, une jeune veuve entre chez une comtesse comme lectrice, et fait, en toute loyauté, sa confession à la comtesse. En réalité, elle n’est pas veuve, on l’a séduite, et vous voyez encore en elle une fille-mère. Puis, toute tremblante de son aveu, la fausse veuve attend la sentence de la comtesse... Mais n’allez pas croire que la comtesse se fâche, ni même qu’elle s’étonne ! Non, la comtesse lui tend simplement les bras, pleure, et devient, pour la vie, son amie et sa protectrice, car elle pourrait aussi lui faire la même confession. Elle a, d’avant son mariage, un enfant qui court le monde, et dont elle n’a même plus de nouvelles ! Elle est comtesse, grande dame, et la meilleure, la plus charitable des grandes dames, mais n’en est pas moins fille-mère, elle aussi, toute comtesse, toute grande dame, et tout excellente grande dame qu’elle soit ! Et il en va ainsi presque invariablement dans presque tout le roman-feuilleton. De tous les personnages que