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la bûcheronne hospitalière, l’excellent maire de village, le régisseur idéal. On n’imagine pas les mérites de toutes ces natures exceptionnellement bonnes et rares, leur dignité, leur entêtement dans le bien, leur extraordinaire perfection. Tous nos feuilletonistes, ou presque tous, appuient, sans interruption, sur cette note, qui était déjà celle des époques précédentes. Nous montre-t-on des braconniers ? Ce sont de bons braconniers. Des mariniers ? Ce sont de bons mariniers. Des surveillantes d’hospice ? Ce sont d’admirables surveillantes d’hospice. Deux vagabonds, dans Diane la Pâle[1], vivent de chantage et de mendicité, mais ont, avec cela, si bon cœur, qu’ils n’en sont pas moins d’excellentes gens.

Remontez maintenant aux Bouvier, aux Richebourg, et vous constaterez le même optimisme encore plus marqué. Dans la Grande Iza, Maurice, ouvrier en bronze, a toutes les vertus. Il est intelligent, doux, poétique, vaillant, rêveur, s’empoisonne par amour, et ne serait pas complet, si, avec toutes ces qualités, il ne passait pas en cour d’assises pour un crime qu’il n’a pas commis. Il y passe, et le voilà martyr ! Toutes les lectrices vont pleurer, et leur cœur, après avoir battu pour Maurice, battra aussi pour Chadi, un ciseleur « bâti comme un chêne, » avec l’air « sympathique et bon. » Le soir, au retour de l’atelier, Chadi est « épuisé, fourbu, mais ne se plaint jamais. » Et quelle joyeuse nature ! Il a la « gaité sur la figure, » la « chanson aux lèvres, » et sa « toquade est le canotage. » Un jour, une femme tombe à la Seine, mais Chadi est là. Il plonge, sauve la femme, et le docteur le félicite :

— « Mon brave, vous avez fait là une belle action ! »

Mais Chadi :

— « Allons donc, une belle fille comme ça... C’est moi qui la remercierai ! » Alors, les parens arrivent à leur tour, embrassent Chadi, et veulent le reconduire dans leur fiacre. Mais Chadi refuse. — « Non, non ! — Si, si, montez ! — Non ! — Si ! — Eh bien ! finit par dire Chadi, oui, je veux bien, mais sur le siège... » Chadi, on le voit, est délicieux. Enfin, Chadi a une maîtresse, Denise, une blanchisseuse ; et, comme il est la perle des ciseleurs, elle est, bien entendu, celle des blanchisseuses, et parle, d’ailleurs, de « son amant, » avec autant d’aisance

  1. Diane la Pâle, par M, Jules Mary.