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broyage au sein d’une température de plus en plus élevée par suite de l’ascension naturelle de l’air chaud. La matière redescend au rez-de-chaussée où des laminoirs à cannelures plus fines et des bluteries parfont l’émiettage ; la poussière convenablement échauffée est enfin empaquetée dans des sacs ou scourtins, puis soumise aux presses hydrauliques préparatoires, dont les batteries se dressent vis-à-vis des « chauffoirs ; » on voit découler l’huile chaude en nappe fluide, d’abord opaque, puis transparente. Broyés et blutés de nouveau, les tourteaux résiduels recommencent à parcourir dans le sens vertical les trajets déjà accomplis ; la poussière la plus fine, délayée dans de l’eau chaude, est pressée de nouveau sous l’action d’un mécanisme semblable à celui déjà employé, mais on s’aperçoit bien que le liquide exprimé ne ruisselle plus que faiblement. On retire de la presse le tourteau sous forme de plaques ou gâteaux striés, sur lesquels est imprimée en creux la marque de la maison. Armés d’un tranchoir, les ouvriers les équarissent grossièrement et les entassent en amas régulier.

Pour l’huile nouvelle, glissant le long des gouttières, elle s’amasse dans de vastes bassins souterrains ou « piles, » d’une capacité de 25 à 30 mètres cubes. Des légendes très marseillaises, des « galéjades » ont circulé au sujet de ces réservoirs mystérieux, agrandis pour la circonstance par l’imagination des conteurs méridionaux. Ils auraient servi de tombeau à des négocians malheureux, ruinés par leurs fausses spéculations sur les huiles, à des amans désespérés, à des victimes de ténébreuses vengeances ; et l’huile, encore, serait ressortie du souterrain transformé en sépulcre considérablement bonifiée ! Plaisanterie que tout cela ; il n’en est pas moins vrai que le malheureux qui tomberait dans cette nappe visqueuse, ne pouvant remonter à la surface en nageant, périrait asphyxié sans remède.

Au contraire, l’huile des « piles » ne tarde pas à revoir le jour ; des pompes la refoulent au premier étage pour la soumettre d’abord à l’action des batteuses, puis à celle des « filtres, » dont l’aspect rappelle assez le modèle pour les vins, connu en Languedoc sous le nom de Caizergues, son inventeur. Devenue limpide, elle se distribue dans une série de caisses rectangulaires de 6 mètres cubes chacune, munies de robinets d’écoulement en vue des livraisons et de flotteurs indicateurs de niveau. Ces réservoirs sont au nombre d’une quarantaine.