Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la Rochelle, de peur qu’après un succès trop prompt on ne laissât trop tôt les protestans en paix. Vers 1632, bien que le cardinal de Bérulle fût mort et le P. Suffren en exil, cette coterie de violens durait encore. Par Marillac, qui, en 1630, dénonce à Mathieu Molé, dans le protestantisme, une « semence de mal propre à causer de grands désordres[1], » la Compagnie du Saint-Sacrement subit sans doute leur influence, mais l’on peut regretter que nos mystiques, — dont je crois, comme M. Allier, qu’au début au moins, les intentions étaient purement spirituelles et le zèle désintéressé, — aient ainsi accepté le mot d’ordre de ces mystiques d’État et d’intrigue, qui mêlaient à la religion la haine contre Richelieu et les mesquines rancunes de la Reine mère.

De ces ligueurs qui ne désarmaient pas, il s’en trouvait aussi, probablement[2], dans la petite bourgeoisie, et, plus probablement encore, dans le bas peuple. C’était, comme à l’ordinaire, chez ceux qui se rendaient le moins de compte des « erreurs » de la secte hétérodoxe que l’exécration en était la plus vive, et que, d’ailleurs, il était le plus facile de l’entretenir, avec quelques déclamations outrageuses, à ces controversistes populaires dont nous dirons un mot tout à l’heure. Ajoutez que cette persistance, dans les masses, de la haine anti-protestante était logique. Une sorte de mouvement acquis continuait à les pousser, par habitude, contre ces huguenots sur lesquels, soixante ans durant, les pouvoirs publics les avaient, avec autorité, lancées. On a dit, avec beaucoup de raison[3] que l’Édit de Nantes avait en 1598, causé dans la nation, une « surprise. » De cette surprise scandalisée, le bas peuple, trente ans après, n’avait pas encore eu le temps de revenir. Enfin, il n’était pas jusqu’aux aspirations vers le bien-être matériel, jusqu’aux besoins de se refaire et de prospérer, qui ne fussent, pour les petits, un motif de détester les protestans, car ceux-ci, par cela même qu’on les excluait de la plupart des charges publiques, portaient leur énergie dans l’industrie et le commerce[4] et, par le travail et la moralité, arrivaient peut-être plus rapidement que les catholiques à la fortune. C’est alors

  1. Mémoires de Molé publiés par la Société de l’Hist. de France, t. II, p. 28.
  2. « Probablement, » parce que les documens provinciaux qui permettraient d’en parler à coup sûr ne sont encore suffisamment ni commentés ni même connus.
  3. G. Picot, Histoire des États généraux, t. IV, p. 383.
  4. Weiss, Histoire des Réfugiés protestans, t. I, liv. I ; Franck Puaux, Histoire de la Réforme française, t. V, p. 225.