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à elle-même sa besogne, promenait partout son initiative, agissait de son propre mouvement et à sa manière à elle. A l’évêque appartenait aussi, de temps immémorial, la police morale du troupeau chrétien, la découverte et souvent même la répression et le châtiment de tous ces actes de « mauvaise vie, » — dont la Compagnie du Saint-Sacrement se faisait l’appréciatrice, l’enquêteuse et la dénonciatrice. C’était enfin l’évêque, et l’évêque seul, que concernait la surveillance du culte et des églises. C’était, pour lui, un devoir élémentaire, et un droit exclusif, que de visiter, personnellement ou par ses délégués, une ou plusieurs fois par an, son diocèse, d’examiner l’état des lieux ou des vases sacrés, de vérifier la manière dont les cérémonies se célébraient et dont s’observait la liturgie. Or, ces visites, non seulement, nous l’avons vu, la Compagnie invitait les évêques à les faire[1], — fût-ce l’archevêque d’Avignon, c’est-à-dire un subordonné direct du Pape même[2], — mais, à défaut de l’évêque, elle les faisait sous-main, et en transmettait à qui de droit les résultats.

Que, dans ces initiatives ou dans ces suggestions, la Compagnie du Saint-Sacrement eût raison, ce n’est pas la question. On n’a pas vu souvent qu’une autorité officielle aimât à être suppléée, ou seulement réprimandée, excitée, informée utilement. Il est très rare que les pouvoirs constitués souffrent sans peine que des auxiliaires bénévoles signalent à leur vigilance en faute les abus qu’ils ignorent, ou poussent leur routine engourdie à attaquer les besognes qu’ils négligent[3]. D’ailleurs, des exemples récens ou tout à fait contemporains étaient là pour avertir la Compagnie des obstacles qu’elle rencontrerait, de l’insuccès et de la persécution qui l’attendaient, si elle tentait, sans s’en cacher, une œuvre si surhumaine. Ici, c’était Théophraste Renaudot, vilipendé, ruiné par la Faculté de médecine, par le Châtelet, par le Parlement, malgré l’appui énergique de Richelieu. Là, l’abbé Bourdoise, « essuyant toutes les contradictions possibles, » de la part et des curés, et des évêques, et des administrateurs des hôpitaux, jusqu’à faillir être lapidé à Orléans.

  1. Allier, p. 256, d’après les procès-verbaux de la Compagnie de Grenoble.
  2. On fit avertir, en 1659, le Pape « que, depuis trente ans, il ne s’était point vu de synode dans Avignon. »
  3. Sur l’impuissance de la police à Paris, voyez, dans les Mémoires d’Orner Talon, la très curieuse discussion qui eut lieu en 1634 entre le Parlement et les lieutenans civil et criminel.