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tantôt des condamnations motivées de la Sorbonne, ou des arrêts du Parlement. C’est inutilement qu’elle sollicite (1656) une déclaration du Roi contre ces associations déjà vieilles, et dont le pouvoir laïque ne croyait plus avoir à s’inquiéter. Elle n’en persiste pas moins à les épier patiemment en province, — à Nantes, à Noyon, à Grenoble[1], — et elle publie partout les sentences de la Sorbonne et le « rituel » d’où il appert que ces unions secrètes recèlent des « sorciers » au moins autant que des « hérétiques. »

Quant aux libertins, s’il y en avait eu à Paris au milieu du siècle autant de « milliers » que prétendaient le P. Garasse et le P. Mersenne, nul doute que la Compagnie du Saint-Sacrement ne les eût aperçus et traqués. D’autant qu’elle y a l’œil : en 1649, pour être sûre qu’on retiendra longtemps à la Bastille un « misérable déiste, » elle l’y nourrit à ses frais. Ce n’est cependant qu’à la veille du jour où elle disparaîtra, ce n’est qu’en 1664 qu’une occasion, éclatante il est vrai, s’offre à elle de se mesurer avec ce scepticisme épicurien qui a, parmi les érudits, les poètes, les médecins, des propagateurs sérieux ou légers, et qui, dans le beau monde poli, autour de « Mademoiselle » et de « Monsieur, » autour d’Anne de Gonzague et du Prince de Condé, s’assure des adeptes ou des patrons intangibles[2]. Cette occasion, la Compagnie du Saint-Sacrement la saisit, bien que ce fût à un protégé, presque à un favori, du jeune roi qu’il s’agît alors de s’attaquer, — à Molière. — Cette renommée, déjà grande en 1664, ne l’intimide pas plus que la vogue des bateleurs du Pont-Neuf. Et c’est la société des disciples de M. De Ventadour et du P. Philippe d’Angoumois qu’il faut, selon toute probabilité, reconnaître dans cette « cabale de dévots, » dont les manœuvres, dès le mois d’avril 1664, contrecarraient le Tartuffe. Les révélations de Voyer d’Argenson et les renseignemens curieux que M. Allier y ajoute permettront désormais de serrer de plus près cette question, si fort débattue, des « allusions » ou des « modèles » de Molière : elles confirment, du reste, à notre avis, — et M. Brunetière le montrera sans doute, — l’essentiel de sa thèse sur l’intention anti-religieuse de l’Imposteur comme du Don Juan.

Enfin, pendant que, toujours en armes, toujours alerte, elle guerroie au dehors et autour de l’Eglise, la Compagnie du Saint-Sacrement travaille au dedans de l’Église.

  1. Voyez les citations des registres inédits de Grenoble, dans Allier, p. 211-212.
  2. Cf. F. Perrens, les Libertins en France au xviie siècle.