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Les Illuminés sont encore nombreux au milieu du xviie siècle. Il en est qui, vagues héritiers des hérétiques du xvie, prêchent le règne du Saint-Esprit, du « libre Esprit, » succédant à l’Église du Christ comme celle-ci à la Synagogue, l’abolition de l’autorité hiérarchique, du vieux culte, et de la vieille morale, « sous prétexte des excellences de l’amour divin. » Dès 1639, la Compagnie ayant eu vent que ces idées étaient celles d’un certain François d’Oches[1], « empêche l’impression d’un livre » où il les soutenait. Vers 1644, ce quiétisme révolutionnaire est prêché en plein Paris par un Simon Morin qui « se disait le fils de Dieu. » S’il est emprisonné en 1648, c’est, vraisemblablement, à la requête des Messieurs du Saint-Sacrement[2]. Si, deux ans après, l’Assemblée générale du clergé est saisie par le Nonce de la nécessité d’exterminer cette « nouvelle secte, » c’est la Compagnie de Paris qui, sans doute, anime et informe le Nonce[3]. Et, lorsqu’en 1662 Simon Morin, qui était sorti de la Bastille et que le Parlement, très sagement, n’avait condamné qu’aux Petites-Maisons, est incarcéré derechef, c’est que, depuis l’été précédent, la Compagnie du Saint-Sacrement s’était derechef mise en campagne[4].

En 1635, des « impiétés sacrilèges » d’une autre sorte lui avaient été signalées : colles des artisans « qui se nommaient entre eux les Compagnons du Devoir. » Mais comment s’en éclaircir ? Un serment solennel, très exactement tenu, obligeait les affidés, « sur leur part de paradis, » au secret le plus absolu. La Compagnie du Saint-Sacrement assume cette difficile enquête[5]. Elle fait dresser, d’abord, un mémoire des « abominations » imputées aux Compagnons, fait décerner par l’Official de l’Archevêché de Paris un « monitoire » à lire au prône, fait distribuer aux confesseurs des questionnaires sur lesquels ils interrogeront les « gens de métier suspects. » Et, pendant quinze ans, elle « s’applique » fortement « à déraciner le compagnonnage, » sollicitant et obtenant tantôt une sentence du bailli du Temple, où les artisans trouvent pour leurs conciliabules un asile,

  1. D’Argenson (1639), p. 84. — Allier, p. 199, 218.
  2. Allier, p. 221-222.
  3. Allier, p. 223.
  4. D’Argenson, p. 219.
  5. D’Argenson, aux années 1646, 1648, 1651, 1654, 1656, 1659. — Allier p. 199, 200, 206, 211, 212.