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opinion publique, dont le gouvernement était l’expression fidèle. Toutes nos institutions étaient imprégnées de catholicisme. Le gouvernement et l’Église se prêtaient naturellement un mutuel appui, ce qu’on aurait pu critiquer en théorie, bien que personne n’y songeât, mais ce qui était légitime, aux yeux de tous, dans la pratique. Depuis, de grands changemens se sont produits. Le trône a été plusieurs fois renversé : toutes les fois qu’il a été relevé, il l’a été au profit d’une dynastie différente. L’Église cependant, par habitude, et aussi par le sentiment plus ou moins juste qu’elle avait de la solidarité de certains intérêts conservateurs, a longtemps continué de chercher dans la monarchie, quels qu’en fussent d’ailleurs la forme et le nom, une sauvegarde qui lui semblait précieuse et qui a fini par devenir compromettante. Nous parlons de l’Église de France plutôt que de l’Église universelle de Rome. Si elle obéissait à une conception erronée, il y avait à son erreur des circonstances atténuantes. Le sentiment auquel elle s’abandonnait ressemblait à de la reconnaissance. D’un autre côté, elle était assez naturellement effrayée de ce qu’il y avait de téméraire, d’emporté, de violent dans des partis qui s’étaient formés au milieu des révolutions. Ces partis, qui se sont tous appelés en fin de compte le parti républicain, se rapprochaient de plus en plus du gouvernement, dont ils ont fini par s’emparer d’une manière définitive, et ils sentaient dans l’Église, ou plutôt dans les catholiques, un obstacle qu’ils devaient être tentés d’assaillir et de briser. Les choses en étaient là à l’avènement de Léon XIII. Il a trouvé, nous l’avons dit, le Culturkampf déchaîné à travers l’Allemagne, et les catholiques français profondément mêlés aux querelles des partis : et on était au lendemain même du Seize-Mai ! L’Église de France avait sa part d’impopularité parmi les vaincus. Quelques voix s’élevaient bien pour dire que la religion et la politique devaient être distinctes ; mais on ne les écoutait pas, soit qu’elles n’eussent pas une autorité suffisante, soit qu’on soupçonnât leur sincérité.

On se demandait quelle serait l’attitude du nouveau pape. Une lourde responsabilité pesait sur lui. S’il encourageait les catholiques et le clergé français à continuer la lutte contre le parti républicain enivré de sa victoire, il risquait de provoquer de dures représailles ; s’il leur conseillait de cesser la bataille et de se soumettre, il n’était pas bien sûr d’échapper quand même à ces représailles, et on l’accuserait de n’avoir rien fait pour les écarter. Au surplus, elles ne se sont pas fait attendre : les décrets de Jules Ferry sont de l’année 1880. On a vu alors comme aujourd’hui, mais à un degré moindre et avec des