Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/708

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien été celle qui convenait le mieux au temps présent. Leurs opinions sont à cet égard divergentes. Mais il n’en est plus de même dès qu’on se retourne du côté de leurs adversaires. Là, on rend pleine justice au pape défunt, et on convient généralement que, s’il avait entrepris une tâche qu’on déclare paradoxale en voulant réconcilier la religion avec la société moderne, il a du moins apporté dans sa poursuite des qualités d’esprit et de caractère de premier ordre. Il aurait réussi, dit-on, si le succès n’avait pas été impossible, et cette manière de parler de lui est encore un hommage. Mais a-t-il échoué ? Sa politique a-t-elle été condamnée par l’événement, comme on affecte de l’assurer ? Il est trop tôt pour le dire. Léon XIII savait mieux que personne qu’il avait entamé une œuvre de très longue haleine, et que ce n’était pas au cours d’une vie pontificale, même longue, qu’on pouvait en recueillir les résultats.

Nous sommes enclins à juger surtout de cette œuvre d’après la partie qui nous concerne et d’après le moment qui passe ; mais c’est là un jugement restreint et borné. Église catholique veut dire Église universelle, et le Pape a dû étendre ses préoccupations sur le monde entier. Il le devait d’autant plus qu’au moment où il est monté sur le siège pontifical, la grande révolution scientifique et matérielle qui s’est produite vers le milieu du dernier siècle avait rapproché les distances et mis à la fois toutes les nations de la terre à portée de ses regards. On ne raisonnait plus dans l’inconnu autant qu’on le faisait jadis. On ne prenait pas une résolution pour un pays lointain en laissant à un avenir plus lointain encore le soin d’en montrer les conséquences. On savait en quelques heures ce qui se passait sur toute la surface du globe. Cela permettait d’établir des comparaisons et de prendre des partis plus rapides. L’idée maîtresse qui s’est aussitôt dégagée de l’esprit de Léon XIII est qu’au milieu de la diversité extrême des gouvernemens et de leur versatilité dans quelques pays, l’Église ne devait s’attacher politiquement à aucun. Tous sont égaux devant elle ; tous sont légitimes dès qu’ils existent, puisque Dieu les a tolérés ou voulus. L’histoire longtemps commune de l’Église catholique et de certains gouvernemens avait amené entre leurs intérêts temporels une confusion que l’histoire a longtemps expliquée, mais qu’elle n’explique et surtout ne justifie plus. Le danger était grand de laisser l’Église attachée à des formes mortes, ou même à des formes changeantes, et de compromettre sa pérennité au milieu de ce que la politique a de plus contingent et de plus mobile. Comment soutenir, d’ailleurs, en son nom qu’une forme de gouvernement vaut mieux