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Dumfries, Burns est par-dessus tout, et quelque peu différemment sans doute de ce qu’il souhaitait à Edimbourg, mais bien plus profondément, le poète national de l’Ecosse.

En retour, l’admiration a pris envers lui le caractère d’un culte. Jamais peut-être la valeur d’un homme ne frappa plus vivement les contemporains. C’est que jamais non plus un poète n’était venu, avec plus d’excellence personnelle, dire à tous, dans la forme qui leur était depuis si longtemps familière, les choses qu’ils sentaient en eux-mêmes et qu’ils attendaient. Burns fut toujours compris, toujours aimé. Depuis ses camarades de Lochlea, qui gardaient le souvenir radieux des heures où ils coupaient à ses côtés la tourbe dans les marécages, jusqu’aux docteurs d’Edimbourg, étonnés, éblouis par l’originalité de son éloquence, tous ceux qui l’approchèrent subirent le prestige de cette voix si vraie, en écoutèrent les paroles comme une révélation. La première édition des Poèmes fut enlevée en quelques jours. Six mois après, l’édition d’Edimbourg était souscrite à 2 800 exemplaires, par quinze cents souscripteurs. « C’était un succès qui ne s’était pas vu depuis l’Iliade de Pope, et c’était un succès plus spontané et plus populaire. A côté des plus hauts noms de l’aristocratie écossaise, se trouvaient ceux de simples fermiers…, le collège écossais de Valladolid, le collège écossais de Douai, le collège écossais de Paris, le monastère écossais de Bénédictins de Ratisbonne et celui de Maryburgh[1]. » Savans ou ignorans, tous ressentaient sans doute ce que Pitt exprima si heureusement un jour à la table de lord Liverpool : « Je ne vois pas de vers, depuis Shakspeare, qui aient autant l’air de sortir doucement de la nature. » Sa renommée ne cessa de grandir, montant jusqu’aux plus hauts esprits, descendant jusqu’aux plus humbles. Un jour qu’il avait envoyé chercher des bois de construction à Dumfries, tandis qu’il bâtissait sa ferme d’Ellisland, tous les charpentiers se pressèrent autour du messager pour voir l’écriture du poète. Pendant ses tournées de l’Excise, quand il arrivait le soir dans une auberge, les serviteurs sautaient de leur lit et venaient faire cercle autour de lui. Enfin, lorsque le bruit de sa maladie se répandit par la ville, lorsqu’on sut qu’il allait mourir, ce fut un deuil public. Les gens s’interrogeaient dans les rues, s’arrêtaient consternés pour échanger des nouvelles. Un homme

  1. Angellier, t. I, p. 233.