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toujours punissable, subsistait encore évidemment dans la Réforme.

A Genève, au moins, sûrement. La doctrine de Calvin et de Bèze, quoique discutée depuis 1553, n’avait pas cessé d’y dominer, et elle s’y appliquait couramment. Témoin, — pour ne rien dire des sentences d’amende honorable, de prison ou de verges que relatent, contre les menues fredaines de quelques « libertins » les registres du Conseil ou de la Compagnie des Pasteurs[1], — cette affaire de Nicolas Anthoine, exactement contemporaine des premières manifestations de « zèle » de la Compagnie du Saint-Sacrement : pauvre fou, condamné à mort, étranglé et brûlé à Genève, en 1632, comme « judaïsant, » et dont l’aventure n’est pas moins répugnante que celle de ce Simon Morin, contre qui M. Allier nous montre la Compagnie de M. De Ventadour acharnée avec une animosité tenace. « Pour nous, disaient dans leur arrêt les pasteurs de Genève, notre devoir est de montrer que l’Eternel ne laisse point impunis ceux qui, par curiosité audacieuse, scrutent les mystères au-delà de la Révélation… Celui qui voudra sonder la majesté de Dieu sera abîmé par sa gloire. » En France, il est vrai, deux ministres, — Mestrezat et Ferry, — eurent le courage de faire entendre alors à leurs frères genevois les conseils de l’humanité et du bon sens ; à Genève même, « quelques gens murmurèrent et dirent qu’il y avait là trop de sévérité[2] ; » mais la foule pensait, comme la majorité des juges, qu’en présence d’une avérée transgression « à la seconde Table de la Loi, » il n’y avait pas à hésiter, et qu’il fallait, sans vain scrupule, « ôter le méchant. »

Enfin on peut, avec trop de vraisemblance, dire plus encore. Qui sait si alors un philosophe se fût trouvé pour oser désapprouver nettement, au nom de la raison, la punition, par le fer et le feu, des insultes à ce que tout le monde alors, comme les pasteurs de Genève et les confrères du Saint-Sacrement,

  1. « En 1607, un enfant de douze ans, nommé Etienne Tissot, fut battu dans la place du collège pour avoir dit, en entendant des éclats de tonnerre, que Dieu, ayant bu tout son vin en étant ivre, s’occupait à rouler ses tonneaux. » Voyez Jean Picot (Histoire de Genève, t. III, page 129 et suivantes), qui cite d’autres exemples analogues de 1609, 1615, 1617, 1651. — En 1628, un étudiant, Rémond de la Croix, fut condamné à mort à Genève « comme blasphémateur, jureur, renieur des Saintes Écritures, les convertissant en railleries, se moquant des pasteurs et les calomniant. » Mais il fut gracié. Voyez Gaberel, Histoire de l’Église de Genève, t. II, p. 101 et p. 291 ; et, sur l’affaire de Nicolas Anthoine, la France protestante de Haag et Bordier, 2e édition.
  2. Spon, Histoire de Genève, édition de 1730, t. I, p. 495.