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Mars et Vénus de Londres, œuvres d’une inspiration bien pauvre et bien pénible, relevées seulement par la grâce lascive de quelques visages. Puis, vers 1475, l’exemple de son confrère Ghirlandajo le ramène dans une voie plus proche de celle qu’il a suivie jadis aux côtés de Lippi. Il essaie de tempérer son naturalisme d’une familiarité souriante et populaire ; et Ghirlandajo lui apprend aussi à se servir de la peinture pour raconter des histoires, pour disposer autour de la Vierge et de l’Enfant une foule de personnages divers en costumes de son temps. C’est encore le raconteur d’histoires, l’imitateur de Ghirlandajo, qui, en 1482, s’en va peindre à Rome les fresques de la Sixtine. Et là, bientôt, une influence nouvelle commence à agir sur lui. Il aperçoit un idéal de beauté calme et sereine, consistant dans un groupement équilibré de nobles attitudes. Revenu à Florence, cinq ou six ans, il s’efforce à mettre dans son œuvre la sérénité antique : il s’y efforce dans sa Naissance de Vénus, dans sa Vierge de Berlin, dans sa grande Vierge de l’Académie de Florence, et encore dans sa Vierge à la Grenade, un de ses chefs-d’œuvre. Mais ici, déjà, les souvenirs rapportés de Rome ne sont plus seuls en jeu. Botticelli s’est lié avec un élève de Verrocchio, Léonard de Vinci ; et, de jour en jour, il se laisse aller davantage à imiter le style de celui-ci, ses expressions étranges, ses gestes insinuans, le lointain mystérieux de ses paysages.

Ainsi il va d’une manière à l’autre, toujours inquiet et ne sachant que faire, lorsque, en 1491, il entend la grande voix de Savonarole. Avec des images infiniment plus vivantes et plus belles que les pédantesques subtilités des Marcile Ficin et des Politien, le moine ferrarais lui fait honte des ridicules niaiseries qui, naguère, ont remplacé dans son cœur la ferveur créatrice de la foi chrétienne. Il lui fait honte aussi de l’art pénible, disparate, inutile, où il a dépensé trente ans de sa vie. « En quoi consiste la beauté ? lui demande-t-il. Dans la couleur ? Non. Dans la forme ? Non. La beauté résulte d’une correspondance entre les formes et les couleurs ; mais la vraie source de la beauté des choses est la lumière qui se dégage d’elles, et il n’y a point de lumière plus parfaite que celle qui émane de l’âme. Harmonie et lumière, c’est toute la beauté, et c’est dans ton âme seulement que tu en trouveras le secret ! » Tous les chroniqueurs anciens s’accordent à nous dire combien fut profonde et décisive, sur Botticelli, l’impression de ces discours, qui, en effet, semblaient s’adresser directement à lui, et lui signifier, en des termes formels, la cause de l’inquiétude incessante dont il était travaillé. Aussitôt, saisi de honte, il résolut d’oublier ses anciennes erreurs, pour s’efforcer de mettre dans son art « l’harmonie »