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Et ce drame n’est-il pas bien fait pour montrer à une jeunesse fougueuse et imprudente que le crime est l’enfant du libertinage ? Les personnages de la comédie larmoyante devaient être empruntés à la vie bourgeoise et aux conditions moyennes : Mercier, en manière de défi, fait rouler sur la scène la brouette d’un vinaigrier, ce qui lui vaut de la part de Fréron cette boutade assez spirituelle : « Je conseillerais à M. Mercier de mettre ainsi sur le théâtre tous les corps de métier dont cette capitale abonde et de nous donner, en drames bien relevés et bien pathétiques, le sac du charbonnier, l’auge du maçon, la tasse du Quinze-vingt, le chaudron de la vendeuse de châtaignes, la chaufferette de la marchande de pommes, le tonneau de la ravaudeuse, la flotte du crocheteur, la sellette du décrotteur, etc. » On a maintes fois fait honneur au drame du XVIIIe siècle d’avoir été un premier crayon de notre comédie de mœurs moderne. Mais, à ce point de vue, il n’y a rien dans Mercier qui ne fût déjà dans les écrits de Diderot et dans les pièces de Nivelle de la Chaussée. Il est vrai seulement qu’il est de ceux qui, par le goût de la déclamation et de la sensiblerie, par la recherche des situations extraordinaires et des effets violens, ont contribué à faire verser le théâtre du côté du mélodrame.

Mercier a-t-il été un romantique de la veille ? Son nouveau biographe essaie de l’établir, et c’est assurément une des parties les plus intéressantes de son étude. Mercier lit avec complaisance nos auteurs du XVIe siècle, qui ont à ses yeux le mérite d’avoir été dédaignés par ceux du XVIIe. Il est curieux des littératures étrangères et raffole tout particulièrement du théâtre et de la poésie anglaise. Il pousse jusqu’au fanatisme le culte de Shakspeare. Il s’inspire des Nuits d’Young, et telle rêverie dans un cimetière de campagne, insérée dans l’An 2440, paraît à M. Béclard d’un tour étonnamment moderne. « Sentimens et images exhalent déjà une poésie toute lamartinienne : dans ce morceau de prose oubliée, il semble que les rimes manquent, on se prend à les chercher malgré soi, tant ici une irrésistible association de pensées évoque en notre mémoire étonnée les échos d’une musique bien postérieure, celle que murmurent les strophes du Vallon ou du Soir. Certes, on l’avouera, elle est singulièrement ouverte et compréhensive, l’intelligence que sillonnent de telles lueurs de lointaines divinations. » Ailleurs, c’est une sorte de méditation à propos d’une visite à Notre-Dame de Paris ; et ce morceau précède de vingt ans le Génie du Christianisme, de cinquante le roman de Victor Hugo ! et celui qui l’écrit n’est d’ailleurs ni un croyant, ni un artiste ! Seulement, ce n’est pas par l’effet d’une page isolée, c’est par l’ensemble de son œuvre et par