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tribunaux. Mais cela n’a été qu’une simagrée, une satisfaction vaine. Aujourd’hui, après cinq ans, le jugement n’est pas encore rendu. Le Japon tout entier s’est rendu solidaire du crime commis à son profit. Au moins, par une ironie du sort et ce qu’un homme célèbre a appelé la justice immanente des choses, la chancellerie de Tokio n’a-t-elle retiré aucun avantage de l’attentat qu’elle avait encouragé et préparé. L’Empereur, fuyant son palais ensanglanté, alla chercher refuge à la légation de Russie dont l’influence est devenue prépondérante. Quelles que soient les prétentions du Japon, quelles que soient les concessions momentanées que pourra lui faire le Tsar pour les besoins de sa politique, on peut être assuré que la Corée est destinée à être incorporée tôt ou tard à l’immense empire moscovite. Et, le jour où leur drapeau flottera définitivement sur le palais de Séoul, j’espère que les Russes couvriront de marbre et de fleurs, entretiendront avec un soin pieux, le petit monument élevé sous les vieux arbres à la mémoire d’une femme et dont le sang, versé par d’autres, fut si fécond pour eux.


TIEN-TSIN

27 mai[1]. — Au point du jour, nous jetons l’ancre. Le capitaine affirme que nous sommes à Takou. C’est bien possible, mais on ne voit rien, rien que le ciel très clair où le soleil se lève et l’étendue bleue de la mer. Ce port de Takou n’est ni un port ni une rade. Les navires d’un certain tonnage sont obligés de mouiller au large et seuls les bateaux d’un faible tirant d’eau peuvent, à marée haute, franchir les barres et pénétrer dans la rivière. On décide, le temps étant beau, de débarquer avec le launch qui remorque une chaloupe où sont entassés nos

  1. J’ai laissé ces notes telles que je les ai écrites à l’époque des événemens qu’elles relatent et bien qu’elles contiennent certaines appréciations et certaines prévisions que l’avenir n’a pas confirmées. J’ai pensé que leur seul intérêt consistait précisément à être un reflet de l’opinion générale à Pékin et à Tien-Tsin au commencement même des troubles. On y verra les alternatives de crainte et de confiance par lesquelles passèrent les Européens. Il ne faut pas oublier que des situations tendues, nécessitant le débarquement de détachemens de marins, étaient fréquentes et presque annuelles, et qu’on pouvait penser alors qu’il en serait du mouvement boxeur comme de tous ceux qui l’ont précédé. Cela explique le manque de décision qui a caractérisé, au début, l’action des Puissances et qui, sans préjudice de l’effort plus considérable qu’il a fallu faire plus tard, a failli avoir de si désastreuses conséquences pour les étrangers enfermés dans Pékin.