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persiques, enclôt de murs l’Acropole, commence les substructions du nouveau Parthénon, et construit le Théséïon, où des mains inconnues, plus savantes ou plus audacieuses, sculptent sur la irise qui court autour de la cella la lutte des Lapithes et des Centaures, aux noces de Pirithoüs. Bientôt Périclès gouverne. Il appelle Phidias. Il est l’ami de l’artiste superbe. Il croit en lui comme à une force de son temps et de son gouvernement. « Athènes, dit Plutarque[1], abondamment pourvue de tous les moyens de défense que la guerre exige, doit employer ses richesses à des ouvrages qui, une fois achevés, lui assureront une gloire immortelle. » Temps heureux et sages, — temps absurdes et délicieux, — où le choix des couleurs pour la tunique d’Athéna passionnait toute la République, où la mesure des colonnes du temple était l’étiage du sens moral de tout un peuple, où la beauté fut vraiment, pendant quelques années, quelques heures du monde, toute la politique, toute la gloire et toute la vertu !

Quoi qu’il en soit, ces bons Grecs, ancêtres un peu des futurs Français, exilèrent Phidias glorieux, comme on exilera Dante et David. Et Phidias, las et découragé, partit pour Olympie. Les méchans et les sots seraient-ils donc, en fin de compte, utiles, ou les grandes injustices historiques seraient-elles nécessaires ? puisque, sans l’ingratitude des Athéniens, Phidias ne serait peut-être pas venu à Olympie éveiller à la vie tout un peuple de sculpteurs, et allumer à la flamme de son génie un incendie de beauté qui illumine encore les modernes sommets. Car Olympie fut alors le sol sacré des jeux et des fêtes liturgiques où vinrent aboutir et s’unifier dans la joie toutes les croyances des diverses races helléniques en une forêt de dieux et en un carrefour d’art. A Olympie germa et fleurit en deux et trois siècles l’immense moisson de chefs-d’œuvre, où prendront à pleines mains les empereurs de Rome et de Byzance, afin que puisse venir jusqu’à nous la trace lumineuse de tant de splendeurs. Comme la victoire des Athéniens sur les Perses avait empêché sans doute la civilisation occidentale de devenir asiatique, la prise de Constantinople par les Turcs, au XVe siècle de notre ère, sera plus tard l’unique chance de retour, en notre Occident, de l’art antique, par l’exode des ouvriers chrétiens, chassés de la ville d’or. Sans la bataille de Poitiers, nous serions peut-être tous musulmans.

  1. Plutarque Vie de Périclès.