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art et métier, — dans ce creuset que fut le génie attique, fait de mesure et de goût, et fondu lui-même à une heure plus fortunée du monde, en cet alliage dorien et ionien, suffira-t-elle à expliquer l’éclosion lumineuse et la perfection prochaine de la sculpture, en la ville privilégiée, en la cité suprême, Athènes. Il est certain, à tout le moins, que cette perfection sera le résultat d’un long enfantement, précédé d’essais gauches ou rares, toujours caractérisés par un désir d’humaine vérité. Et si, pour ne citer qu’un exemple, on constate la présence à Mycènes, dès le XIVe siècle peut-être, plus de six siècles avant les chants homériques ! de ces purs stylets d’or, trouvés par Schliemann dans les tombes des rois ou des héros, lames ciselées merveilleusement, où parmi les arabesques fleuries courent de symboliques animaux, d’un dessin si ferme et d’une vérité si précise, simultanément avec ces stèles grossières, où des artisans, indigènes sans doute, s’essayaient vainement à copier, sur la pierre dont ils scellaient les tombes de leurs princes, le travail raffiné des beaux objets venus d’Orient, comment expliquer le fait, à moins d’imaginer ces grands batailleurs, voleurs et puissans seigneurs, — qui rappellent étrangement les comtes et barons pillards des bords du Rhin, en leurs nids d’aigles, aux temps similaires de notre Moyen âge, — achetant, après un jour de rapine heureuse, sur les routes d’Argos, des poignards d’or ou des ceintures ouvragées à quelques Phéniciens ambulans, venus par la mer bleue, sur les grandes barques aux voiles peintes ?

Ces Phéniciens sont étonnans, en leur errante activité ; transporteurs d’or et transmetteurs d’idées, ce sont bien les Juifs de l’antiquité. Ils étaient d’ailleurs d’origine sémitique ; ils avaient pour voisins, quand ils rentraient par hasard dans l’étroite terre de Syrie, pressée entre la montagne et la mer, d’où ils étaient un beau jour partis à l’aventure, les Juifs établis à l’est du Liban, et les Hétiens, un peuple curieux, nouvellement inventé par les archéologues pour expliquer quelques très vilains monumens qu’on ne savait trop à qui attribuer. Ils parcoururent tout le monde connu des temps anciens, très semblables déjà à leurs frères futurs, qui, comme eux industrieux, souples et fidèles, avides d’espace et d’or, sans préjugés et sans sol, toujours en marge des nations, joueront dans le monde moderne, aussi longtemps qu’ils ne se laisseront pas absorber par les races qui les entourent et les enserrent, mais ne les oppriment plus, un rôle