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que le Canada était bien résolu à ne pas s’y laisser entraîner. Dans une interview très caractéristique, il marquait la différence radicale du point de vue politique anglais et du point de vue colonial et en particulier canadien : « Ici (en Europe), disait-il à M. W. T. Stead, avec qui que ce soit que vous causiez, hommes politiques, financiers, journalistes, vous en arrivez toujours, — si peu qu’ils vous en parlent, — à cette conclusion que leur pensée de derrière la tête, c’est la possibilité de la guerre. Elle ne viendra peut-être pas aujourd’hui, ni demain, ni le jour suivant ; mais, quelque jour, une grande guerre fera rage sur les frontières de leur pays, et la question suprême pour eux, c’est de savoir comment se préparer à cette effroyable éventualité. Cette préoccupation affecte toutes leurs pensées ; elle domine toute leur politique. Ils n’y échappent jamais : elle est toujours présente à leur esprit. Eh bien ! au Canada, de janvier à décembre, nous ne songeons jamais à la guerre. Loin d’assiéger constamment nos pensées, la possibilité d’une guerre n’entre jamais dans nos esprits comme une contingence à laquelle il vaille la peine de se préparer. Et c’est là, ajoutait avec beaucoup de force le Premier canadien, ce qui plus que toute autre chose m’a déterminé à empêcher, à tout prix, que le Canada soit mêlé aux embarras militaires du Vieux Monde. »

Comme M. Stead lui faisait remarquer que le Canada paraissait s’être déjà passablement embarrassé d’affaires militaires en envoyant des contingens dans l’Afrique du Sud : « Non, reprit M. Laurier, nous avons envoyé des contingens, c’est vrai ; mais, si vous voulez bien vous reporter au discours que j’ai prononcé au Parlement quand le premier contingent est parti, vous verrez que j’ai spécifié, dans les termes les plus énergiques, que l’envoi de ces renforts ne devait en aucune manière être considéré comme un précédent constitutionnel ou comme l’accomplissement d’une obligation. Le Canada s’est réservé la liberté, au cas d’une guerre future où l’Empire se trouverait engagé, de décider s’il devrait y prendre part ou se tenir à l’écart. » C’est là un commentaire des plus explicites, — et des moins impérialistes, — à ces paroles qu’avait prononcées en effet M. Laurier, à la tribune du Parlement d’Ottawa, le 13 mars 1900 : « Ce que nous avons fait, nous l’avons fait de notre propre et libre gré, et quant à l’éventualité de guerres futures, je n’ai que ceci à dire : si c’est, plus tard, la volonté du peuple canadien de prendre