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ouvrir, s’est appliquée à les fermer. Ce n’est ni le lieu, ni le moment d’en raconter l’histoire ; on demeurerait ébahi si l’on rappelait ce qui a été fait, ce qui a été employé d’art et dépensé de forces pour défendre les fonctionnaires contre toute poursuite. Le principe supérieur qui soumet tout homme à la responsabilité de ses actes était nié pour l’agent de l’autorité. Par une étrange interversion des termes, qui semble une dérision, l’expression de « garantie constitutionnelle » n’était employée dans la jurisprudence française que pour signifier les moyens mis en œuvre pour couvrir tout dépositaire de la puissance publique. Il fallut une révolution pour abolir, comme le demandaient depuis un demi-siècle les libéraux, l’article 75 de la Constitution de l’an VIII, la seule disposition qui eût survécu à toutes nos secousses ; mais les traditions, plus fortes que les lois, constituèrent une jurisprudence qui remplaçait si exactement l’article 75 qu’il ne reste plus trace de son abolition. Grâce au Tribunal des conflits, les fonctionnaires de la République sont « garantis » contre toute poursuite ; ils sont aussi protégés que sous l’Empire.

La séparation des pouvoirs, juste en son principe, exagérée dans ses applications, aboutit à des conséquences qui effrayent tous les jurisconsultes. Elle est aggravée par des préventions d’un autre âge. Voilà plus de cent ans que les parlemens sont supprimés ; mais nous vivons encore sous le souvenir et l’obsession de leur ingérence. À entendre les défenseurs des préfets, il semble que les tribunaux ne songent qu’à empêcher l’action des fonctionnaires. Il y a de vieux préjugés à l’aide desquels se rallume d’époque en époque la passion des hommes et qui semblent renaître à propos pour empêcher tout progrès. Au fond des provinces, les mots de corvée, de dîmes et de droits féodaux ont encore un sens et l’âme populaire frémit en les entendant. Les préfets montrent une aussi puérile épouvante, lorsqu’ils s’alarment des jugemens par lesquels le tribunal civil s’apprête, disent-ils, à entraver l’action de l’administration.

Ne parlons ici que de la liberté individuelle, de l’inviolabilité du domicile et des saisies qui suivent les perquisitions judiciaires. Bornons à cette matière spéciale la loi qui devrait être faite sur la responsabilité des dépositaires du pouvoir à tous les degrés.

Ce qui a fait avorter depuis cent ans tous les projets de responsabilité, c’est la difficulté d’accorder aux citoyens des droits et d’empêcher qu’ils n’en abusent. Il faut que, d’une part, toutes