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d’ordre physiologique, liée à des conditions particulières de la fonction de reproduction.

Il y a un seul point sur lequel les deux doctrines s’accordent, c’est à savoir que les fortes dissemblances d’organisation sont l’effet de la disparition des chaînons intermédiaires. Dans le cas de mutation, la forme nouvelle, quoique très nettement distincte de la forme souche, ne présente pas nécessairement avec celle-ci des différences considérables ; elles peuvent quelquefois être anatomiquement très faibles, quoique très fortes physiologiquement, puisqu’elles interdisent le croisement. Les grandes divergences morphologiques résultent toujours, comme dans la théorie de Darwin, d’une série de mutations répétées. Mais ces changemens se pressent dans un temps relativement court puisque les espèces nouvellement formées sont, au moment même de leur formation, dans leur phase de plasticité, dans leur crise de mutation.


IV


Il reste à indiquer les justifications et les fondemens objectifs de la doctrine. On peut compter à son actif l’avantage de concilier l’hypothèse transformiste, qui est de nécessité logique, avec l’immutabilité de l’espèce qui est, pour de Vries, une vérité de fait. Elle y parvient, ainsi qu’on l’a vu en signalant dans la vie de l’espèce une sorte de crise, une période de mutation passagère qui vient interrompre, pour un temps assez court, l’invariabilité habituelle. Elle accorde, par-là, d’une certaine manière, Agassiz avec Darwin.

H. De Vries considère l’existence de l’espèce et son invariabilité comme des faits d’observation quotidienne. — Il rappelle les mémorables expériences de Jordan et de ses disciples. Ceux-ci ont fait des milliers et des milliers de semis d’espèces végétales : jamais ils n’ont observé le passage d’une espèce à une autre, c’est-à-dire une véritable mutation ; ils ont constaté seulement les différences actuellement classées sous le nom de variations individuelles. Celles-ci, comme l’on sait, sont de telle nature que, si l’on exclut l’isolement artificiel, la ségrégation et la sélection, les formes retournent au type primitif. C’est en vain que le transformisme a nié cette remarquable fixité et qu’il l’a remplacée par l’hypothèse de changemens si lents, si minimes et si gradués qu’ils ne deviennent sensibles qu’au cours des siècles, et qu’ils échappent fatalement à notre observation actuelle.

Une seconde circonstance de fait, qui est d’accord avec la théorie