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conservateur, économe de mots et rude en son langage, avec ses méfiances, ses superstitions, son tranquille et ironique bon sens, se retrouvent chez ces petits fermiers qui vivent plus ou moins isolés, à mi-côte, parfois très loin sur la hauteur, de quelques « jours » de pré, d’une ou deux vaches, dont le laitage les nourrit et dont ils tirent encore un assez maigre gain, en fabriquant des fromages. L’hiver, enfermé chez eux par la neige, ils vivent dans un demi-sommeil ; mais sitôt la terre délivrée, vite à la tâche : et l’été, aux temps de la fenaison, les nuits sont très raccourcies ; on part avant l’aube, et l’ombre est tombée depuis longtemps que la faux ou le crochet besognent encore. À ceux-là, qu’ils nomment un peu dédaigneusement « les gens de la colline, » s’opposent « ceux du village, » commerçans, ouvriers et petits bourgeois ; ils raillent leurs préjugés, leur reprochent l’entêtement, le manque d’initiative ; et les élections municipales, séparant les deux partis, marquent entre eux de petites rancunes, qui ne vont pas toutefois jusqu’à l’hostilité.

Mieux que l’apport étranger, l’industrie influerait sur le caractère de cette population, en modifiant ses instincts, en transformant sa vie, ses habitudes, ses appétits, en lui donnant peu à peu cette triste uniformité d’existence, de costume et de visage même que l’usine impose à ses habitans. Il n’y en a pas moins aujourd’hui de six ou sept, échelonnées sur le bord de la Moselle : ce sont pour la plupart des tissages ou des filatures de coton. L’appât d’un gain plus élevé et plus palpable que le lent produit de la vie agricole devait nécessairement faire descendre le paysan du champ vers la machine ; et l’on ne trouverait plus guère une famille, dans ce village, dont les enfans, après avoir passé hâtivement à l’école, ne soient allés chercher une place à l’atelier.

Quoi qu’il en soit, avec les modifications que, depuis une vingtaine d’années, ce facteur nouveau a pu faire subir au type, et les traits particuliers qui l’individualisent, cette petite communauté d’hommes garde encore les élémens constitutifs et l’aspect d’un village français, enraciné au sol, conciliant le respect des traditions avec les doutes d’un esprit un peu gouailleur : on n’y est point resté étranger aux changemens du siècle et l’on y tient fermement aux libertés conquises il y a cent ans ; là vivent, en assez bon accord, la mairie, républicaine, l’église, conciliante, et l’école, circonspecte, sous la ronde tranquille des saisons qui se succèdent, égales pour tous, des soucis de la terre liés aux