Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le bruit d’une cascade invisible, la plainte monotone du vent dans les grands arbres. Oh ! les heures délicieuses qu’on doit pouvoir passer là l’hiver, quand le givre couvre les branches, que la neige jonche la terre, que la tempête passe en sifflant entre les vieux troncs noirs ! Quel endroit pour laisser sa pensée s’engourdir doucement dans le rêve et dans l’oubli.


Pendant vingt-quatre heures nous filons à toute vapeur le long de la voie ferrée qui relie Utsunomiya et Aomori à l’extrémité nord du Japon. La ligne d’abord s’élève, atteint une altitude de 1 100 pieds. Le paysage est pittoresque. Au-dessous de nous, au fond de profondes vallées, ce sont des champs cultivés et d’innombrables villages drôlement perchés, avec une grâce précieuse, qui semblent placés là pour l’effet. Les ruines d’anciens châteaux féodaux, aujourd’hui démantelés, se dressent sur les crêtes. Au loin, en face de nous, presque à notre niveau, c’est une chaîne ininterrompue de montagnes pointues couvertes de neige uniformément. Mais on redescend bientôt. A partir de Sendaï nous nous maintenons au bord de la mer dans un paysage monotone et triste de pays du Nord où règne encore l’hiver. Le temps se refroidit à mesure que nous nous élevons en latitude. Adieu les arbres aux jeunes pousses vertes, les camélias, les cerisiers en fleurs. De larges plaques neigeuses couvrent certains champs, emplissent les fossés aux abords de la voie. Le train passe à chaque instant sous de longs tunnels en bois destinés à préserver la ligne de l’envahissement des neiges. Enfin voici Aomori, un paysage de Norvège ou d’Islande, une grande baie aux eaux pâles, dans un ciel pâle, avec des montagnes toutes blanches, et un soleil d’hiver, un soleil froid, sous lequel s’amoncellent au large de longs rubans de brume.


Morooron, dans l’île de Yeso. Est-ce encore le Japon ? Des montagnes couvertes d’arbres dépouillés de leurs feuilles, un vent glacial, des cimes neigeuses, des volcans pointus qui fument. Une petite ville dont toute l’industrie est dans les mines de charbon. Accompagné du Père R…, missionnaire français, je vais visiter un village d’Aïnos. Ce sont des sauvages, les vrais habitans de cette île que les Japonais ont colonisée depuis peu. Ils sont sales, vivent pauvrement dans des huttes, ont de longs cheveux et de grandes barbes. Les femmes, — qui ne seraient