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adversaires pour savoir qu’ils n’oseraient jamais tirer le premier coup de canon. Il attendait son heure. Quand arriva le changement de marée qui se fait sentir avec une grande violence dans la rivière Min, tous les navires se mirent à tourner sur leurs ancres pour s’éviter au courant. À ce moment la flotte française ouvrit le feu et la riposte des navires chinois surpris alla se perdre dans les montagnes qui dominent le mouillage de Fou-Tchéou. Quand ils revinrent de leur erreur, ils étaient déjà désemparés par les premières bordées françaises. Une demi-heure après, toute la flotte du Céleste-Empire reposait au fond de l’eau.

Les gros bateaux ne peuvent dépasser l’arsenal, et c’est en launch ou en sampan qu’on doit faire les onze milles qui restent à parcourir pour parvenir à Fou-Tchéou. Le paysage devient de plus en plus pittoresque. Les montagnes s’élèvent, entourent d’une ceinture imposante la vallée où coule le fleuve et que son lit remplit presque en entier aux hautes eaux. A l’époque où nous sommes, les berges que l’inondation a fertilisées se couvrent de rizières verdoyantes où, sur des talus en des d’âne, passent des Chinois déguenillés. Partout on cultive, on arrose, on travaille. Sur des éminences, sortes de bosses du sol qui précèdent les montagnes, s’élèvent des villages entourés d’arbres et jolis… De loin.

Fou-Tchéou est une immense ville qui s’étend avec ses faubourgs sur une longueur de plus de dix kilomètres. On croit que la population dépasse un million d’habitans. Ce serait donc à la fois plus grand et moins peuplé que Canton. Les rues y sont plus larges, les maisons moins hautes, la foule un peu moins compacte.

Parmi les villes les plus sales de Chine, Fou-Tchéou tient une place honorable. Dès que nous y pénétrons, une puanteur nous prend à la gorge, composée d’odeurs innomables de poissons crus ou pourris, de cuisines en plein vent, d’ordures jetées à même la rue, de baquets destinés à un certain usage qui débordent sur les dalles et ne sont sans doute jamais vidés. Les tas d’immondices sont parfois si épais et si gluans que nos porteurs y enfoncent, y glissent, tombent sur les genoux, nous faisant courir le risque effroyable d’un bain trop parfumé.

Le vieux Fou-Tchéou s’étend sur les rives de plusieurs rivières. Il est bosselé de collines que surmontent des pagodes ou des tours. Du sommet de ces édifices on jouit d’une vue superbe.