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Que les plus jeunes des Parnassiens n’aient pas su très exactement ce qu’ils voulaient faire, puisque M. Mendès nous l’affirme, nous n’essaierons pas d’y contredire. Après tout, l’âge de plusieurs d’entre eux nous en serait un assez sûr garant, puisque alors M. Sully Prudhomme avait vingt-six ans, M. De Heredia et M. Coppée vingt-trois, et Verlaine vingt-et-un. Toutefois, ici encore M. Mendès tient trop peu de compte des tendances générales qui en 1865 se faisaient sentir en littérature. Les jeunes poètes pouvaient les subir sans bien s’en rendre compte : une école qui se forme ne met pas nécessairement une pancarte à sa porte ; et si divers de tempérament que soient les écrivains qui se groupent, ils subissent néanmoins une même pression. Or à l’époque où débutent les Parnassiens, le roman est devenu celui de Flaubert, la critique celle de Taine, la comédie, celle de Dumas fils et d’Augier. C’est le temps des plus grandes espérances ou des plus ambitieuses prétentions de la science. Cette fois, le courant réaliste est nettement déterminé : il ne fera plus que grossir, s’enfler au-delà de toute mesure et jusqu’à devenir le naturalisme. La conception du monde est positiviste ; tout ce qui ne tombe pas sous les sens est suspect de ne pas exister ; c’est l’observation, c’est l’analyse qui deviennent les principaux instrumens de travail du littérateur. Il est extraordinaire que M. Catulle Mendès n’ait pas vu, ou qu’il ne veuille pas admettre à quel point l’œuvre de l’école parnassienne est en harmonie avec l’ensemble de la littérature de cette époque. Certes les Parnassiens les plus éminens sont très différens par la nature de leur esprit ; mais à mesure qu’ils développent leur originalité ils se déterminent tous dans le même sens. Et leur conception de la poésie avait bien pu jadis être incertaine et flottante : à mesure qu’elle se précise, elle apparaît identique. Rien de plus instructif que de comparer à la Légende des siècles, les Trophées de M. De Heredia. Autant Victor Hugo restait maître souverain de sa matière et créait l’histoire à sa fantaisie, à son humeur et à sa taille, autant l’auteur des Trophées se subordonne à l’objet et reste, dans son métier de poète, fidèle à la discipline sévère qu’il a reçue à l’École des chartes. Sully Prudhomme apporte dans l’analyse intérieure une précision et une scrupuleuse exactitude dont il n’y avait pas encore d’exemple dans notre poésie ; ou même il s’efforce de faire du vers lui-même un moyen de recherche philosophique. Et le poète des Humbles ou des Croquis parisiens, se fait le peintre des hommes et des choses de son temps, par des procédés tout voisins de ceux qu’emploiera l’école du document humain.

Restait à montrer comment l’école parnassienne a péri et pour