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Tandis que les missionnaires avaient pour observatoire le confessionnal, l’évêque de Luçon lui, avait pour observatoire la lointaine solitude de Ravenne, où s’ennuyait son exil. Absens, les évêques régnaient ; ils pouvaient même, absens, avoir l’illusion de gouverner : mais l’esprit de la nouvelle Église de France se formait sans eux et en dehors d’eux.

Il fallait que le peuple eût lui-même relevé ses autels pour que l’épiscopat fût admis aies revenir bénir ; il fallait que l’Église de France renaquît dans les âmes avant de reprendre figure d’institution ; il fallait enfin que la jeune démocratie préparât les voies au retour de la hiérarchie.


Le 18 brumaire survint : en une pâmoison, cette démocratie se donna, séduite par l’espoir d’un régime stable reposant sur une autre assise que celle de la monarchie héréditaire. L’âme française saluait en Bonaparte son verbe ; elle attendait de ce verbe les paroles de paix religieuse dans lesquelles se devaient condenser les innombrables soupirs des consciences. Mais par-là même que le 18 brumaire avait cette portée politique, par-là même qu’il paraissait assurer à l’œuvre historique de la Révolution française une prolongation régulière et durable, il était pour Louis XVIII et pour les évêques fidèles au trône une terrible occasion d’inquiétudes et de scrupules. On vit s’engager une lutte entre les évêques qui voulaient rentrer en reconnaissant l’ordre de choses nouveau, et le roi qui les voulait retenir auprès de lui, comme des confesseurs émigrés et attardés de la vieille foi monarchique ; mais cette lutte intéressait peu les populations ; elle se cantonnait sur des sommets où la vie nationale avait cessé d’avoir ses sources. Ce qui était plus important que ces débats un peu prétentieux, c’étaient les pétitions naïves, obsédantes, tantôt caressantes et tantôt impérieuses, qui circulaient dans les villages, se couvraient de signatures, et prenaient ensuite le chemin de l’étranger, pour rappeler à quelque vieux curé, jadis disparu mais nullement oublié, que ses paroissiens l’attendaient, qu’il fallait qu’il reconnût Bonaparte, et, qu’il revînt. Ainsi se griffonnaient, dans les villages de France, des brouillons un peu frustes de Concordats.

Les lois interdisaient encore l’usage des cloches pour le culte ; mais le peuple, au lendemain du 18 brumaire et par la vertu même de l’acte du Premier Consul, se sentait au-dessus des lois de persécution. Aussi beaucoup de communes firent-elles à leur tour leur petit coup d’État, dans lequel les « sonneurs, » qui mettaient les cloches en