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de l’État : les prêtres n’avaient aucun traitement, les signes extérieurs de religion étaient interdits, les communes n’avaient point le droit d’acquérir ou de louer des temples. Un décret du 30 mai 1795 améliora la situation en mettant à la disposition des communes les temples non aliénés, sous cette réserve qu’ils seraient ouverts à toutes les confessions. Naturellement, le maintien des décrets contre les prêtres déportés — décrets qui ne disparurent qu’au 24 août 1797, — enlevait à ces lois de liberté religieuse une bonne part de leur valeur ; et l’esprit même qu’affectaient à l’endroit du culte un certain nombre des proconsuls envoyés dans les départemens demeurait assez inquiétant. Tel d’entre eux, par exemple, ne craignait pas, dans une proclamation, de stigmatiser « l’effigie ridicule de celui que des imposteurs présentaient comme un Homme-Dieu, » et voulant aux dépens du dimanche faire l’éloge du décadi, il ajoutait : « Ce n’est plus une vierge enfantant sans douleur un Homme-Dieu, c’est le peuple, toujours pur et incorruptible, mettant au monde la liberté. » Mais peu importait aux populations : il suffisait qu’elles se pussent prévaloir de la lettre des lois, pour qu’immédiatement leur piété, reléguée depuis quelques années dans ces catacombes que sont les âmes et qu’aucun pouvoir humain ne saurait empêcher d’être lumineuses, aspirât à faire rentrée dans le monde, et à s’épanouir derechef sous le soleil.

Aux portes mêmes de la Convention, Paris manifestait : les boutiques se fermaient, le dimanche, pour attester que les églises devaient se rouvrir ; le culte fut repris, en 1795, dans quinze d’entre elles, et les citoyens d’alentour apportaient des chaires, des confessionnaux, des cierges. La Convention, sous la poussée du peuple, remettait Dieu dans ses temples ; et le peuple faisait de son mieux pour remettre Dieu dans ses meubles. « On prendrait maintenant Paris, écrivait un journaliste, pour un grand couvent de capucins, tant il y a partout des crucifix d’ivoire, déplâtre, de bronze, de bois, d’argent et d’or, étalés à toutes les boutiques. »

Nombreuses étaient les localités où l’on recommençait le culte avec des vases sacrés de fer-blanc ou de plomb, sans linges, sans ornemens. On accueillait avec joie les prêtres déportés qui se risquaient à revenir et qui, déguisés en ferblantiers ou en marchands ambulans, parcouraient les campagnes pour porter quelque secours aux âmes désertées et préparer la résurrection de la vieille liturgie. Des policiers survenaient, parfois, pour traquer ces insermentés. Mais les populations se prêtaient mal aux recherches domiciliaires ; et dans la hâte