Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/923

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un sommet où se trouve un petit hôtel qui sert de sanatorium. On y a une vue merveilleuse sur toute l’île de Penang, sur le détroit qui la sépare de la presqu’île et, plus loin, sur le Maidland et les hautes montagnes qui barrent l’horizon du côté de l’Orient. A vos pieds, les arbres qui couvrent les pentes ont, par la diversité de leurs essences, les teintes variées de nos bois en automne. De-ci de-là, au milieu de l’Océan de verdure, un flamboyant fait une large tache rouge comme une tache de sang.

Georges Town est le premier type que nous rencontrons dans ce voyage, de la grande colonie chinoise établie sous la loi et la domination d’un autre peuple. Singapore, Cholen près de Saigon, Manille et Batavia, pour ne citer que quelques noms, sont des exemples plus connus qui appartiennent à la même catégorie. Une fois dépaysé, le Chinois conserve toutes ses qualités natives d’ordre, d’économie, de travail, d’audace, mais il les développe au centuple quand il est débarrassé des préjugés et de la mauvaise administration de son pays. Il s’implante là où il est venu aborder et s’empare peu à peu de tout le commerce et de toute l’industrie. Les Chinois établis en attirent d’autres. Bientôt se fonde toute une colonie, humble d’abord, modeste et pauvre, apportant de ses lointaines provinces la forme de ses maisons, ses sociétés coopératives, sa coi dure et son costume, ses temples et ses dieux. Mais bientôt la richesse habilement drainée afflue dans les taudis. Des palais remplacent les masures. La foule, en augmentant de nombre et de force, devient exigeante et turbulente. Les chefs de congrégations, gros seigneurs puissamment riches qu’on rencontre conduisant leur phaéton avec deux valets de pied par derrière et qui donnent des dîners où on ne boit que du vin de Champagne, deviennent des autorités reconnues avec lesquelles les gouverneurs doivent compter. Et tous ces pays d’Extrême-Orient sont acculés à ce dilemme : ou de végéter sans progrès, ou de se développer rapidement par les Chinois, mais aussi pour eux. Ainsi il paraît que le rôle des Européens soit destiné peu à peu à se réduire à celui d’administrateurs consciencieux et zélés d’une fortune qui ne leur appartiendra plus.


MALACCA

26 janvier. — Nous nous arrêtons quelques heures à Malacca, jolie petite ville que dominent, sur une colline, les ruines d’une