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inscriptions célèbrent les exploits des l’Isle-Adam, des La Valette, des Rohan, des Wignacourt et de tant d’autres, jusqu’à cet admirable Suffren, qui fut bailli de Malte et battit les Anglais. San-Giovanni se pare avec orgueil des tapisseries de Louis XIV, la salle du Grand Conseil est décorée, elle aussi, d’autres Gobelins, envoyés par le Grand Roi et, dans une galerie voisine, à la place d’honneur, le portrait en pied de Louis XV fait face à celui de Louis XVI. C’est en vain que, dans ces annales peintes sur les murailles, on chercherait le nom d’un Grand-Maître anglais ; d’esprit pratique et de patriotisme étroit et exclusif, l’Angleterre n’est pas une nation de croisade, comme la France ou l’Espagne. Dans ce bassin de la Méditerranée, où son commerce l’emporte sur tous les autres et où dominent ses flottes, appuyées sur Gibraltar et sur Malte, ce n’est pas son nom que redisent les pierres et que proclament les monumens, ce n’est pas sa gloire qui vit dans la mémoire des populations, ce n’est pas son secours qu’invoquent les persécutés. Dans tout cet Orient, où le chrétien latin est toujours, dans la langue populaire, le « Franc, » où le drapeau fleurdelisé a été si longtemps le seul à flotter librement et où le drapeau tricolore, lorsqu’il apparaît, produit encore une émotion joyeuse, partout, même là où elle a été supplantée, comme en Égypte et à Malte, c’est le génie de la France que l’on retrouve et qui a le plus profondément marqué son empreinte. Il faut faire le tour de la Méditerranée pour comprendre comment le plein épanouissement de son génie national a fait de la France une puissance supranationale, et comment l’extension de son influence, plus loin que ses frontières politiques, a été étroitement liée à sa fonction historique de défense et de propagation du catholicisme ; entre ces deux forces qui ont, l’une et l’autre et l’une pur l’autre, exercé une action directrice sur le monde européen, il y avait, il y a encore, en dépit de tout, une mystérieuse harmonie naturelle. Et c’est pourquoi l’ordre de Malte, dont toutes les nations saluaient le pavillon à croix rouge, et qui, au-dessus des querelles des peuples, resta l’incarnation d’une idée et le soldat d’une noble cause, porte, pour ainsi dire, le sceau de notre génie.

Mais le rayonnement de la gloire française s’éteint, à Malte, avec celle des chevaliers, dans la pénombre des cathédrales, dans le silence des musées et des grands palais vides. Le bruit de la rue, l’animation du port, les soldats qui passent, les