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M. Waldeck-Rousseau, a compromis son œuvre sur ce point : les rues de Paris ont été extrêmement troublées ces jours derniers. Il y a eu beaucoup de têtes fendues, entre autres celle d’un commissaire divisionnaire, M. Bouvier. Tout cela parce qu’une association déjeunes gens catholiques, le Sillon, a donné une réunion publique, comme c’était son droit. Nous souhaitons que les catholiques usent en ce moment de leur droit avec prudence, mais on ne saurait leur en refuser l’exercice. Dès que leur réunion a été annoncée, et qu’on a su qu’elle se tiendrait salle des Mille-Colonnes, dans le quartier de Montparnasse, le journal l’Action, qui s’est fait le porte-parole des libres penseurs radicaux-socialistes, et qui compte parmi ses principaux rédacteurs les émeutiers de l’église d’Aubervilliers, a invité ses amis à s’y rendre. Un grand nombre ont accouru ; il en est venu de tous les points de Paris, et beaucoup plus que la salle n’en pouvait contenir. La réunion a eu lieu ; aucun désordre ne s’est produit à l’intérieur la liberté de la parole et la sécurité des personnes ont été assurées par la police que faisaient eux-mêmes les membres de l’association. Le président, M. Sangnier, a pris le premier la parole et n’a pas eu beaucoup de peine à provoquer l’émotion de l’assemblée en protestant contre l’odieuse politique qui se fait aujourd’hui. Néanmoins cette même assemblée, quelque surexcitée qu’elle fût après ce discours, a écouté en silence les deux orateurs de la libre pensée, MM. Charbonnel et Henry Bérenger. Le premier est un ancien abbé qui a jeté sa soutane aux orties ; le second est un jeune écrivain qui est devenu radical, socialiste, libre penseur et tout ce qui s’ensuit. Ils ont pu dire tout ce qu’ils avaient à dire l’un et l’autre sans interruption, ni provocation.

Mais, lorsque la séance a été levée et que la foule s’est écoulée dans la rue, elle y a trouvé une autre foule, celle des gens qui n’avaient pas pu entrer. Ils s’étaient littéralement emparés de la voie publique, y avaient établi plusieurs barrages, et, après avoir hué ceux qui sortaient de la réunion et qui leur paraissaient suspects de ne pas penser aussi librement qu’eux, ils se sont mis à les poursuivre et à les frapper. Au bout de quelques instans, les pharmacies des environs et l’hôpital le plus voisin ont été remplis de blessés. On s’attaquait, on se défendait à coups de canne : bientôt, les cannes ne suffisant pas, on a brisa tout ce qui se rencontrait sous la main, par exemple les grilles de fonte qui entourent le pied des arbres, et on en a fait des casse-tête. D’un autre côté, les membres du Sillon se rendaient au siège de leur association, où devait se tenir une réunion privée :