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possèdent le plus haut degré de nocivité. C’est, en première ligne et tout à fait hors de pair, l’essence de grande absinthe. On avait prétendu que d’autres lui disputaient le pas. MM. Cadéac et Meunier attribuent à l’anis et à la badiane, fort abondans dans la liqueur, un rôle prédominant. Il n’en est rien : c’est bien l’essence d’Artemisia qui a la maîtrise. Parmi les variétés que l’on prépare en diverses régions, l’essence d’absinthe de Paris s’est montrée, dans les recherches de M. Lalou, notablement plus active que l’absinthe du Midi. Celle-ci n’est employée que dans les liqueurs ordinaires et de qualité médiocre. La première est réservée pour les produits de choix. Les essences les plus chères comme les eaux-de-vie les plus chères sont donc aussi les plus toxiques.

L’analyse a été poussée plus loin, par le même expérimentateur. Il a examiné les élémens mêmes de l’essence, et particulièrement la thuyone qui en est le constituant principal. C’est un convulsivant énergique : il est à peu près aussi toxique que l’essence elle-même à égalité de quantité. L’essence lui doit évidemment la majeure partie de son activité. La conclusion se trouve corroborée incidemment par le fait que d’autres essences, — d’ailleurs étrangères à la confection de la liqueur d’absinthe, — se sont montrées très toxiques lorsqu’elles contenaient de la thuyone. Et, par exemple, l’essence de tanaisie qui renferme plus de thuyone que l’absinthe, environ 70 pour 100 est aussi plus malfaisante. Le surplus de l’énergie nocive de l’essence doit être attribué au thuyol et à ses éthers ; les derniers élémens, les carbures résineux, semblent n’avoir qu’un rôle très effacé.

Les autres essences, conjointes de celles d’absinthe dans la liqueur de ce nom, participent aussi à sa toxicité. Les unes, celles d’hysope et de fenouil, agissent dans le même sens, produisant l’excitation de la moelle épinière et faisant éclater les convulsions du tétanos et de l’épilepsie. Les autres se manifestent plutôt par des phénomènes de paralysie et de torpeur, et par-là se rapprochent plus ou moins de l’alcool.

Cette division en poisons convulsivans et poisons stupéfians présente un caractère général. Elle permet un premier classement parmi les nombreuses essences (il y en a une cinquantaine) et les extraits qui sont employés à la confection des diverses liqueurs. — Le premier groupe est le plus dangereux ; en tête se trouvent placées les essences de reine des prés, de wintergreen,