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l’ivresse simple, ou du délire alcoolique : ils s’accomplissent lentement, dans le silence de la vie végétative, et aboutissent à la déchéance physique, à la dénutrition, à la dégénérescence graisseuse des organes ou à la sclérose conjonctive.

Tel est, réduit à ses traits essentiels, le tableau général de l’alcoolisme avec ses trois degrés : l’alcoolisme passager, l’alcoolisme avéré et l’alcoolisme chronique. Il exprime indifféremment la destinée du buveur d’absinthe et d’apéritifs, celle du buveur d’eaux-de-vie ou celle du buveur de vin. Et c’est pour cela que beaucoup de médecins, négligeant les variantes que l’usage de tel ou tel spiritueux peut apporter dans les détails, ne veulent admettre qu’un processus unique, l’alcoolisme sans épithète. Cette constance des désordres, en dépit de la variété des liqueurs spiritueuses qui les provoquent, ne peut évidemment être attribuée qu’a l’élément constant qu’elles possèdent en commun, c’est-à-dire à l’alcool éthylique ordinaire. Cette symptomatologie régulière dénonce l’alcool. Elle caractérise et décèle l’empoisonnement alcoolique. — On conçoit que beaucoup de médecins ne cherchent pas à raffiner sur ce point, qu’ils s’en tiennent à cette notion fondamentale et que dans les troubles produits par l’abus des alcools naturels ou industriels, rectifiés ou bruts, aromatisés ou non par les essences, ils n’accusent et ne condamnent que l’alcool. C’est l’alcool lui-même, l’alcool éthylique, l’alcool le plus pur, le plus rectifié, qui est responsable de tous les méfaits produits par les boissons alcooliques, que ce soient les boissons fermentées dites naturelles, telles que le vin, la bière, le cidre ; les liqueurs distillées telles que les eaux-de-vie ; les liqueurs à essence ; les vins aromatisés ou les liqueurs sucrées de toute espèce qui entrent dans la consommation. Appuyés sur ce principe, ils n’ont pas d’autre ennemi que l’alcool, ils considèrent tous les autres comme négligeables et déclarent que rien n’aura été fait tant que celui-là n’aura pas été réduit. Cette opinion a trouvé son écho dans les récentes discussions de l’Académie de médecine.

Une autre école de médecins et de cliniciens savans a voulu aller plus loin dans l’analyse et pousser la recherche au-delà de cette vérité élémentaire, que l’alcool est l’agent nocif par excellence des boissons alcooliques et que l’alcoolisme est une intoxication générique. Ils ont créé des espèces dans le genre. On peut apercevoir en effet que les trois cycles de l’alcoolisme présentent