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graines d’anis et de coriandre, qui doivent prédominer. — On fait macérer environ 12 kilos de ce mélange de feuilles, de racines et de graines dans 50 litres d’alcool faible ; et après douze heures de séjour on soumet à la distillation. — C’est là le procédé de l’absinthe naturelle. — Le plus souvent la préparation est simplifiée. On se contente d’incorporer à froid l’alcool aux essences fournies par le commerce de la distillation, à raison de 5 à 20 grammes du mélange par litre d’alcool. C’est ce que l’on nomme la fabrication de l’absinthe artificielle. Quant aux proportions du mélange, elles varient pour chaque marque.

Cette liqueur a été longtemps en usage dans l’armée d’Afrique avant de passer sur le continent. Elle s’est infiltrée petit à petit dans la population civile, et sa consommation n’a pas tardé à prendre un développement énorme. Déjà, en 1872, il était tel qu’il alarmait les hygiénistes, et que devant leurs réclamations, les nécessités budgétaires aidant, les pouvoirs publics, par la loi du 6 avril 1872, se décidèrent à frapper la liqueur d’absinthe du droit énorme de 175 francs par hectolitre. La vente de l’essence concentrée était réservée aux pharmaciens. Des conseils généraux, celui du Finistère, par exemple, avaient, dès cette époque, réclamé une interdiction absolue.

La mesure ne fut pas appliquée et le progrès de la consommation continua à s’accélérer. La statistique des contributions indirectes fait voir que dans l’espace de onze ans, de 1885 à 1896 la consommation a passé de 10 755 hectolitres à 182 565. Dans le même temps, une autre boisson analogue à l’absinthe, mais où prédominent les principes aromatiques amers, le bitter, augmentait de 30 214 hectolitres à 40 000.

L’Algérie vient en tête, à cet égard. C’est là que prospère au plus haut degré le trafic de l’absinthe et du bitter. Non pas que ces liqueurs soient préparées sur place au moyen des espèces végétales indigènes, ni surtout au moyen des bulbes d’asphodèle, comme on l’a prétendu. Non : l’absinthe qui se boit dans les cafés d’Alger, d’Oran ou de Philippeville, est celle que l’on sert dans les cafés de Paris ; elle vient de la métropole. Il en est de même, d’ailleurs, dans toutes nos colonies. Partout où des militaires et des fonctionnaires civils français sont assis à la terrasse d’un café, on peut voir, à l’heure qui précède le déjeuner et le dîner, les verres de la verte liqueur s’aligner sur les tables. Le promeneur en hume de loin le parfum caractéristique. Le