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moindre caillou travaille à cette broderie liquide. En s’opposant au courant, il divise la nappe d’eau en deux lignes qui, aussitôt l’obstacle passé, cherchent à regagner le centre du courant, se rejoignent, se dépassent, en se croisant et en formant un premier losange, vont se heurter des deux côtés à des courans plus forts ou au rivage qui les rejettent violemment vers le centre, se croisent encore, en une seconde figure de rhombe, et, de là, repartent dans une infinie diversité de formes, dominées par la force qui les attire toujours vers le centre, en dépit des obstacles, et marque ainsi la direction du courant. En même temps, l’inclinaison des lignes en marque la vitesse. Hokousaï, dans certaines vues du Fuji-Yama, n’a pas manqué de noter ces figures générales de l’eau en mouvement, à chaque pieu qui lui fait obstacle : les losanges. Et le peintre n’a pas besoin de les avoir étudiés scientifiquement, ni de faire sentir le moins du monde leurs apparences géométriques : il suffit qu’il ne les peigne pas dans son atelier, de recette, mais qu’il les observe sur place, pour sentir peu à peu la régulière harmonie de cette trame inlassablement tissée par les infiniment petits du rivage, d’après d’inviolables lois.

L’observation immédiate des choses réputées les mieux connues est pour les artistes ce qu’est pour les philosophes la révision des idées les plus généralement reçues. Elle conduit toujours à quelque découverte nouvelle ou à quelque nouvelle précision, et en Art, sinon en philosophie, à quelque nouvelle beauté. Telle est l’étude des chutes d’eau depuis la plus humble auxiliatrice de moulin jusqu’à la cataracte du Niagara, de la cascatelle des Alpes ou des barrages des plaines tombant en nappes étalées : le spectacle naturel qui attire le plus les foules, d’autant qu’il s’y mêle souvent un autre élément d’admiration universelle : les couleurs du prisme. Eh bien, l’eau tombant par grandes masses ou ruisselantes de grandes hauteurs a été fort mal rendue par les paysagistes anciens. Ruysdaël et Hobbema en donnent bien une idée approximative. Mais la division de la nappe en veines triangulaires, sa chute, en cordons tremblotans, l’élargissement de ces cordons en nappes saccadées, intermittentes, le bouillonnement au bas de la chute où toutes les molécules parties d’en haut se retrouvent après une course folle en zigzags, tout cela n’a jamais été exprimé avant notre époque. Je n’en citerai qu’un exemple. Le plus souvent l’eau d’une