Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/677

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une maison, aux approches du crépuscule, où la lumière semble tamisée par les stores, le vent par les vitres, les pas par les tapis. Il y a en effet une obscure poésie dans l’apparition d’une vieille porte, d’un seuil usé, d’une grille ébréchée, d’une entrée de parc, ou de cottage, qu’avait bien exprimée Frédéric Walker dans son fameux tableau The old gate : la première bienvenue de la maison où l’on revient après le long voyage, le dernier adieu du foyer que l’on quitte quand il s’est éteint, le témoin des années écoulées et des amis disparus. Voilà ce que M. Thaulow, en sa Porte de marbre, M. Godeby, dans un Après le labour, près du clocher, M. Montcourt dans sa Rue Cassette, et surtout M. Marché, dans sa Vieille Porte, à la campagne, semblent s’être donné le mot pour exprimer. Aux grands spectacles, qui mettent en scène des personnages célèbres et indifférens, l’artiste préfère ces coins d’intimités où ne paraît personne, mais que chacun de nous peuple indéfiniment au gré de ses souvenirs.

En même temps, aux jeux éclatans du plein soleil, il préfère les effets de clair-obscur. Et c’est la seconde tendance caractéristique de la peinture contemporaine. Sans doute, elle n’est pas absolument générale, car une des meilleures œuvres des deux Salons, la grande Fauchaison de M. Henri Martin, demeure toute pénétrée de l’idée juste du plein air et tout enrichie de ses découvertes. Mais le phénomène est bien visible. Partout ailleurs triomphent les Ténébreux, depuis le Benedicite des Dames de l’Hospice de Beaune, par M. Bail, qui est presque un chef-d’œuvre, jusqu’aux figures de M. Maurer et aux paysages de M. Ménard et de M. Griveau. M. Roll, lui-même, l’auteur du Centenaire à Versailles et des Joies de la vie, à l’Hôtel de Ville, le maître incontesté des carnations claires sous le soleil et dans la brise de Normandie, M. Roll s’est renfermé dans son atelier, a tiré les rideaux et a cherché, dans des effets de lampe cachée par une main, la poésie de sa Maternité. Ainsi l’excès du blanc de céruse et du papillotement coloré rejette les artistes dans l’excès du brun et de la concentration artificielle de l’effet. L’éclaircissement de la palette étant parvenu à l’absence de couleurs, par leur réunion dans le blanc, nous assistons à un obscurcissement systématique de la palette. Et ce n’est nullement là un mouvement nouveau, car il date bien de cinq ou six années, mais c’est depuis peu une tendance assez universelle pour modifier du tout au tout l’aspect de nos Salons.