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On procéda promptement à l’interrogatoire, qui, cette fois, fut sérieux et dura toute l’après-dînée. Il roula sur l’affaire Bonnard, sur le projet d’empoisonner du Pin, ainsi que sur les mystérieux engins trouvés dans la maison d’Arcueil et sur « les fausses monnaies » que le duc, devait, disait-on, « faire débiter à l’armée, pendant l’occupation d’Utrecht[1]. » Luxembourg répondit à tout sans embarras ni réticences, avec une précision et une netteté parfaites[2]. On le poussa encore sur les femmes Bosse et Vigoureux, sur la Voisin et la Deslandes, sur « une vingtaine d’hommes et de femmes » qu’il n’avait jamais vus et de certains desquels il n’avait même pas ouï parler. « Je n’avais sur cela, écrit-il, qu’à dire la vérité, qui était que je ne connaissais pas un de ces gens-là. Je le dis en peu de paroles ; mais ils me tournèrent fort, ayant bien envie de me faire tomber dans quelque piège. » Trois heures s’écoulèrent de la sorte ; après quoi, nouvelles révérences des magistrats à l’accusé, force protestations de « respect et de dévouement, » promesses de ne rien négliger de « ce qui pourrait servir à la justification espérée. » « Ce jour-là, remarque Luxembourg, ils furent bien plus honnêtes qu’ils ne l’avaient été la première fois ; et je ne sais si c’était parce qu’ils jugeaient dès lors que mon affaire ne pouvait mal aller, ou s’ils le faisaient pour me surprendre. » Quoi qu’il en soit, deux mois allaient encore couler sans que le prisonnier vît revenir les commissaires.

Ce second interrogatoire eut néanmoins un résultat : les magistrats se décidèrent enfin à rechercher Bonnard et à l’appeler en témoignage. On le trouva sans peine ; on le fit parler sans effort. A la première question qu’on lui posa, le malheureux confessa tout, son long commerce avec Lesage, les messes noires et les maléfices, les « conjurations » faites au nom de Luxembourg et de la princesse de Tingry, et, — comme écrit Gourville — « déchargea entièrement son maître » de toute complicité dans cette triste aventure. L’arrestation suivit l’aveu ; l’intendant, peu après, fut décrété de prise de corps, écroué à Vincennes, où on le réunit à Lesage et Botot[3]. « Ainsi, — dit M. De Pomponne, en annonçant l’événement à Feuquières, — toute cette affaire s’évanouit et sera apparemment bientôt terminée à l’entière

  1. Interrogatoire du 2 mars. Archives de la Bastille.
  2. Ricous à Condé, 3 mars. Archives de Chantilly.
  3. Archives de la Préfecture de police.