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duchesse de Mecklembourg, seule de la famille proche se trouvait à Paris et fut avertie la première. On sait l’intimité qui la liait à son frère ; elle s’élança vers la Bastille et supplia qu’on la laissât entrer. Mais la consigne était inexorable ; elle s’en retourna sanglotante et, selon la coutume du temps, fut cacher sa douleur dans le fond d’un couvent[1], où ses amis, M. le Prince en tête, vinrent en foule apporter le témoignage de leur condoléance. La mère du duc de Luxembourg, la vieille comtesse de Boutteville, prévenue au château de Précy, accourut à Paris, tremblante, « à demi morte. » Elle s’enferma de même chez les filles du Saint-Sacrement. Veuve du fameux duelliste décapité par Richelieu, le drame sanglant de sa jeunesse obsédait sa mémoire. Lui faudrait-il, après cinquante ans écoulés, recommencer le même calvaire ? Le fils, après le père, gravirait-il le sinistre échafaud ? On verra qu’elle n’était pas seule à se poser cette question redoutable. La maréchale de Luxembourg, qui vivait loin du monde au fond de sa terre de Lorraine, fut la dernière au rendez-vous[2]. Elle amenait avec elle ses fils ; malgré leur grande jeunesse, ils ressentirent vivement le coup qui les frappait : « J’ai vu les pauvres petits messieurs de Luxembourg, qui sont dans une désolation horrible, » écrit un ami de Condé.

Toute cette famille, hâtivement assemblée, n’avait, de bonne foi, qu’un désir : servir la cause du prisonnier, faire éclater son innocence. Mais, comme il se voit trop souvent, les vaines paroles, les mesquines récriminations, les querelles intestines, paralysaient toute action efficace et faisaient perdre un temps précieux. Mme de Mecklembourg accusait en pleurant l’aveuglement, l’opiniâtreté de son frère : « Elle dit que, toutes les fois qu’elle lui a voulu parler de ce que l’on disait en Allemagne sur cette affaire[3], il la grondait. » La comtesse de Boutteville accablait de reproches la princesse de Tingry, qui était, disait-elle, « la cause de tous les malheurs. » La maréchale enfin, bavarde,

  1. Aux filles du Saint-Sacrement, rue Cassette. — L’hôtel de la duchesse de Mecklembourg se trouvait alors rue Taranne.
  2. Si peu mêlée que fût la maréchale de Luxembourg à l’existence de son époux, il ne s’en fallut guère qu’elle fût impliquée dans l’affaire Une noie de La Reynie, du 28 janvier 1680, mentionne qu’il a reçu « l’avis de faire une enquête à Ligny sur le maréchal, sa femme et sa belle-sœur ; » et La Reynie écrit en marge : « Observer Mme de Luxembourg, au lieu où elle est présentement. » (Archives de la Bastille.)
  3. Il s’agit des visites aux devineresses et des sorcelleries de Montemayor. (Ricous à Condé, 25 janvier 1680. Archives de Chantilly.)