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sociologue. Laissons les mots et voyons les faits. En réalité, ce qui nous inquiète, M. J. Novicow l’a bien vu, c’est la diminution du pouvoir de la France dans le monde ; c’est encore la diminution de notre « natalité, » quand nous la comparons à l’accroissement de la natalité germanique ou anglo-saxonne ; c’est, enfin, le recul de notre langue. « Si nous sommes si fortement impressionnés, dit à ce propos M. J. Novicow, par le progrès des races anglo-saxonnes, c’est parce que nous constatons que l’anglais était parlé au XVIIIe siècle, par 22 millions d’hommes dans le monde, et qu’il l’est aujourd’hui par 130 millions. » Nous le sommes aussi de voir, que, de ces 130 millions, il y en a bien une dizaine que l’Angleterre a gagnés sur nous.

Ces inquiétudes sont-elles fondées ? Pour « la diminution du pouvoir de la France dans le monde, » elle n’est que trop claire, hélas ! à tous les yeux ; et nous ne sommes assurément ni la France de Louis XIV ni celle de Napoléon. Nous savons aussi pourquoi nous ne la sommes plus ; et, indépendamment de vingt autres raisons, celle-ci suffirait que 38 millions de Français ne sont pas à 128 millions d’Anglais (42), d’Allemands (53) et d’Italiens (33) dans la même proportion que 24 millions à 46 millions. Or, le nombre est le nombre ; et c’est fort bien fait de dire qu’il n’en faut pas avoir la superstition, ni même, si l’on veut, « le respect, » mais il ne faut pas pourtant le mépriser, ni s’imaginer qu’il serait un élément négligeable de la force des nations. Ainsi posée, la question se ramène à la question de la natalité. « La natalité française, dit à ce propos M. J. Novicow, est la plus faible de l’Europe, et, dans ces dernières années elle a été dépassée plusieurs fois par la mortalité. L’excédent annuel des naissances sur les décès est presque nul, et, tandis que la population des autres pays augmente avec rapidité, celle de la France demeure stationnaire. » Mais il s’empresse aussitôt d’ajouter que, si le fait est certain, il n’est pas pour cela « nécessaire. » Les circonstances historiques, économiques et autres, qui ont déterminé l’abaissement en France du taux de la natalité, sont « changeantes » par définition : elles ne seront sans doute pas demain ce qu’elles étaient hier. Les Etats-Unis d’Amérique n’avaient en 1800 que 5 308 000 habitans ; ils en ont aujourd’hui 70 000 000 ; si la population ne s’y était accrue que par le jeu de l’excédent des naissances sur les décès, on a calculé qu’elle ne serait que de 14 000 000. Inversement, si le taux de l’accroissement continuait