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raison : l’Afrique a été pour vous un piédestal admirable ; elle vous a grandi, et beaucoup. Vous avez tort de croire qu’on ne vous a pas su gré de ce que vous y avez fait, et de ce que vous y faites encore. Ne prenez pas pour l’expression exacte du sentiment du pays à votre égard les sévérités ou les injures de la presse ultra-démocratique : à ce compte-là, il n’y aurait pas un homme de cœur, pas un bon citoyen, pas un fonctionnaire utile et dévoué, à commencer par le plus éminent et le plus auguste, qui n’aurait à se plaindre de l’ingratitude du pays. Croyez bien, au contraire, que votre noble conduite a été vivement appréciée par vos compatriotes : il n’y a qu’une opinion sur votre courage, sur vos qualités militaires, sur votre raison si mûre dans un âge si tendre, sur la persévérance de cette épreuve que vous vous êtes imposée, sur les fatigues et les dangers sans nombre auxquels vous avez volontairement exposé une vie qui pouvait être si douce et si brillante même pendant la paix. Je ne vous ai jamais flatté ; mais ce n’est pas ma plume, naturellement amie et prévenue, qui vous rend en ce moment cette justice : sur mon honneur, cher Prince, c’est tout le monde ; tout le monde, c’est-à-dire tous ceux que l’esprit de parti n’aveugle pas, — et encore ai-je reçu, de la bouche de quelques-uns de ces hommes, des confidences qui vous honorent. Mais cette justice qu’on vous rend pour tout ce que vous avez fait, j’entends pour vos actes publics, on ne la refusera pas à cette partie moins brillante de votre gouvernement, j’entends l’administration civile et politique de la province, quand elle sera connue. Le gouvernement vous doit cela ; il faut qu’on sache avec quel zèle et quel succès vous avez accompli votre tâche d’administrateur. Quand on le saura, vous pourrez dire que votre mission est complètement achevée. Vous étiez allé en Afrique pour servir votre pays, mais l’Afrique devait servir aussi à votre bonne renommée : sous ce rapport, ne vous plaignez pas. Vous étiez beaucoup par le sang et la fortune ; mais, avant d’avoir touché le sol africain, vous n’étiez rien, dans l’opinion des hommes sérieux, qu’un écolier supérieur ; vous aviez fait une belle rhétorique. Aujourd’hui, vous avez fait, et bien fait, une guerre difficile ; vous avez eu des succès que de vieux capitaines ont enviés ; vous avez éprouvé, si ce n’est des revers, du moins des contradictions sérieuses de la fortune, qui ont mis votre fermeté à l’épreuve : tout vous a profité même la polémique injurieuse que je vous ai dénoncée