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brûlé : tête de Turc sur laquelle on peut frapper à bras raccourcis et à cœur joie. Tel est le type que M. Mirbeau nous présente à son tour dans la personne de M. Lechat, persuadé que la vertu dramatique n’en est pas encore épuisée, et qu’il a toujours sa place dans une action tour à tour plaisante ou émouvante.

A vrai dire, M. Mirbeau a été uniquement soucieux de faire venir au premier plan son héros : il s’est efforcé de lui ménager des scènes où il pût s’expliquer à loisir et nous révéler son caractère, beaucoup plus qu’il n’a essayé, à proprement parler, de bâtir une pièce. Dans Les affaires sont les affaires, il n’y a pas de pièce : j’entends par-là non pas une intrigue suivant la formule de Scribe, mais une action qui progresse, un tout fait de parties qui s’enchaînent, se lient, s’amènent et s’engendrent l’une l’autre. Nous voyons d’abord Lechat bâcler sous nos yeux une affaire ; rien ne saurait être mieux en situation : c’est l’essence même du sujet. Il roule très convenablement ses partenaires ; cela est exécuté avec décision et sûreté, mais d’ailleurs ne mène à rien en dehors de l’opération elle-même et ne modifie pas la situation respective des personnages. Cette affaire une fois réglée, M. Lechat en commence une autre qui ne tient à la précédente que par le lien le plus frêle ; ou plutôt il suit sa destinée, qui est de passer sans transition d’une affaire à l’autre. Cette seconde affaire, au contraire de la première, entraîne une conséquence capitale : la fille de M. Lechat refuse de figurer comme appoint dans un marché et de se prêter aux combinaisons paternelles ; elle quitte la maison en faisant claquer les portes. Le rideau pourrait baisser sur ce dénouement très suffisamment saisissant. Mais M. Mirbeau imagine de faire intervenir une circonstance tout à fait fortuite : un accident d’automobile où périt M. Lechat fils. Cela prolonge la pièce d’une scène, qui par elle-même peut sembler inutile, mais dont M. Mirbeau a tout particulièrement escompté l’effet pour nous révéler dans ses plus intimes profondeurs et pour mettre à nu l’âme de son personnage. On le voit : il serait injuste de dire que la pièce soit mal faite ; elle n’est pas faite, parce que M. Mirbeau n’a pas même cherché à la faire : chacun des actes que nous allons voir se succéder tendra beaucoup moins à nous présenter un des momens d’une action qu’à nous faire apercevoir M. Lechat sous chacun des aspects de son intéressante personnalité.

Au premier acte, voici M. Lechat dans son intérieur. On nous montre l’homme, avant l’homme d’affaires. C’est un très vilain homme. Ses manières sont déplorables. Il est dépourvu de toute distinction et