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les trompettes, les saquebuttes, les psaltérions, les fifres, les tambours, les cymbales et les acclamations des Romains font danser le soleil. »

Parmi les plus belles comparaisons de Shakspeare, il en est d’empruntées aux instrumens : « You are a fair viol, » dit Périclès à la fille d’Antiochus. Dans le Roi Henry IV (1re partie), un mot du prince Henry : « J’ai touché la corde la plus basse de l’humilité, » rappelle un peu la définition que Chopin donnait de lui-même : « Je suis comme le mi d’un violon sur une contrebasse. » Ailleurs, c’est Norfolk banni qui se plaint en ces termes :


Sentence rigoureuse, mon souverain Seigneur !… L’idiome que j’ai appris depuis quarante années, mon anglais natal, je dois désormais l’oublier. Et désormais ma langue me sera aussi inutile qu’une viole ou une harpe sans cordes, qu’un bon instrument enfermé dans son étui ou mis entre des mains qui ne savent pas le toucher.


Faut-il rappeler enfin le fameux dialogue d’Hamlet et de Guildenstern :


HAMLET. — Voulez-vous jouer de cette flûte ?

GUILDENSTERN. — Monseigneur, je ne suis pas.

HAMLET. — C’est aussi facile que de mentir. Promenez les doigts et le pouce sur ces soupapes ; soufflez ici avec la bouche et cela proférera la plus parfaite musique. Voyez, voici les trous.

GUILDENSTERN. — Mais je ne puis forcer ces trous à exprimer aucune harmonie. Je n’ai pas ce talent.

HAMLET. — Eh bien ! voyez maintenant quel peu de cas vous faites de moi. Vous voulez vous jouer de moi, vous voulez avoir l’air de connaître mes trous, vous voulez arracher l’âme de mon secret, vous voulez me faire résonner tout entier, depuis la note la plus basse jusqu’au sommet de la gamme. Et pourtant, ce petit instrument qui est plein de musique, qui a une voix admirable, vous ne pouvez arriver à le faire parler. Sang dieu ! Croyez-vous qu’il soit plus aisé de jouer de moi que d’une flûte ? Prenez-moi pour l’instrument que vous voudrez, vous pourrez bien me froisser, mais vous ne saurez jamais jouer de moi.


Cela ne rappelle-t-il pas le roseau pensant de Pascal et jamais l’imagination d’un poète a-t-elle mêlé ainsi l’âme d’un instrument à l’âme de l’humanité ?

Joueurs de flûte, de luth ou de viole, chanteurs et trouvères errans, le moyen âge anglais avait traité les musiciens en général, — au moins les exécutans et les professionnels, — avec