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ou de Gallo-Latins alertes. On le verra mieux encore lorsque des flots de réservistes viendront se noyer dans des essaims de jeunes soldats. Napoléon a dit : « L’ordre est la première règle de la guerre[1]. » Désormais il faudra dire que c’est le désordre. L’éducation militaire consistera à s’avancer en désordre vers un but désigné, jusqu’à ce que surgisse un grand capitaine reconstituant des corps d’élite et une armée de métier, qui nous tire de la barbare erreur de la nation armée et en démontre la fragilité en infligeant une mémorable déroute à ces bandes à la Xerxès auxquelles vont, de plus en plus, se réduire les armées démocratiques.


XIII

Plus que toute autre chose éclata dans cette campagne l’incontestable supériorité de l’offensive tactique, dont Frédéric avait fait la règle supérieure de son armée. Les Autrichiens ne succombèrent pas pour avoir employé l’offensive, mais pour l’avoir employée avec une tactique de combat déplorable, qui rendit plus funeste encore l’infériorité de leur armement : l’attaque à la baïonnette, par le choc et non par le feu. Sans nul doute, il y a une grande efficacité dans l’attaque à la baïonnette. Sa force irrésistible consiste en ceci, que l’adversaire est bien obligé de croire qu’une troupe, assez énergique pour traverser une grêle meurtrière de projectiles, le sera assez encore pour l’aborder et l’exterminer à l’arme blanche, s’il attend sa venue. Toutefois, il faut que la grêle des projectiles ne soit pas telle qu’elle arrête l’assaillant à mi-route et le fauche au milieu de sa manœuvre.

Les Autrichiens ont durement payé l’oubli de cette vérité de sens commun. Après quelques coups de fusil échangés avec l’ennemi, la brigade s’élançait tout entière, à la baïonnette, avec une admirable, mais funeste bravoure. Les Prussiens, accroupis ou cachés derrière des obstacles naturels, les laissaient arriver jusqu’à bonne distance, les accueillaient d’abord par des feux de salve, puis par un feu rapide, tirant dans le tas, sûrs de ne jamais manquer, et les assaillans, accablés de projectiles, tourbillonnaient sur eux-mêmes et s’enfuyaient dans le plus grand

  1. Notes sur l’histoire de la guerre, 4e note.