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avançant en ligne à Skalitz sous un feu terrible d’artillerie, ont montré une régularité tactique qu’on a d’autant plus soigneusement relevée dans les récits officieux ou officiels qu’elle était exceptionnelle. Le corps d’élite de la Garde, au lendemain de Trautenau et dans la journée de Sadowa, a fait des prodiges, prouvant de quel poids décisif un corps d’élite pèse dans une bataille. Partout l’infanterie a été admirable de valeur et d’initiative, mais elle ne s’est pas montrée autre dans ses mouvemens que les Français de la Révolution, de l’Empire et de l’armée d’Italie de 1859, tant critiqués par les pédans prussiens.

Les combinaisons symétriques, si belles sur le papier et sur les champs de manœuvres, relativement à l’emploi successif des tirailleurs, des soutiens, des réserves et au rôle méthodique de la première et de la seconde ligne, s’évanouirent aussi. Presque nulle part les formations enseignées dans les livres et établies sur le terrain à l’origine de l’action ne furent conservées. Au lieu d’un combat régulier, on assista à une mêlée confuse. L’arrangement pondéré des théoriciens se réduisait à n’être plus qu’une ligne longue, mince, irrégulière, sur une profondeur très faible, coupée de-ci et de-là par des groupes entassés, avançant ou reculant à distance, avant même de s’être heurtés à la ligne ennemie. Le long de cette ligne, une série de petits combats individuels, indépendans, à la façon des anciens. Plus de lien ni de subordination entre les troupes, pas même de colonnes de compagnie. Et, au dernier moment, la victoire emportée non par un assaut solennel et en masse, aux commandemens de : « Croisez la baïonnette ! marche ! marche ! » répondant à l’ancien : Feri, Frappe ! des Romains ; mais par une série d’assauts partiels, non coordonnés, livrés par des bandes plus ou moins renforcées de tirailleurs s’avançant de tous les côtés au pas gymnastique et poussant des hurrahs ! L’ennemi, selon la juste comparaison d’un écrivain allemand, n’était pas « détruit comme par la force meurtrière d’un boulet, mais comme par les milliers d’éclats qu’un obus jette de tous les côtés[1]. »

A sa première épreuve, le combat dispersé se montra le combat désordonné. Il en sera toujours ainsi, quelles que soient la valeur, l’instruction, la discipline des troupes d’une armée ; qu’elle se compose d’hommes du Nord flegmatiques et pesans,

  1. Essais sur la tactique, par un officier prussien, traduit par Furcy-Reynaud.