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La parole était maintenant au gouvernement, qui n’ignorait pas qu’à trahir les espoirs développés en Irlande par ce qu’on a appelé le « Traité Dunraven, » il verrait l’agitation, un moment suspendue, reprendre plus vive que jamais. Le 25 mars dernier, M. Wyndham a donc exposé son nouveau bill agraire à la Chambre des communes. Ce bill[1], il faut l’avouer, ne suit que de loin les indications de la Conférence de décembre. Si favorable qu’il soit aux landlords, il ne les satisfera qu’à moitié. Il reste, d’autre part, bien loin des desiderata des paysans irlandais, il n’est guère généreux pour les tenants, non plus que pour l’Irlande en général, et ne sera probablement acceptable au parti : nationaliste que s’il est notablement amendé en cours de discussion. Somme toute, il ne sera sans doute encore qu’une demi-solution. La solution définitive viendra cependant, après quelque nouvel effort : il faudra bien que l’Angleterre finisse par céder devant cette mise en demeure de l’Irlande entière et unie, par comprendre que son intérêt même lui commande d’acheter, à quelque prix que ce soit, la paix en Irlande, et qu’elle se doit à elle-même de faire un sacrifice pour sauver, sinon le landlordisme, qui n’a que trop duré, du moins les landlords, qui ont fait si longtemps son service et tenu pour elle « garnison » sur la terre d’Erin.

  1. C’est tout un nouveau système de rachat, en vertu duquel on verrait, à en croire le ministre, le transfert général des terres s’opérer en Irlande en quinze ans. Point d’obligation de vente, même indirecte, comme en avait prévu la Conférence. Les parties conviendront librement du prix, mais ce prix devra être compris entre 22 et 28 fois la « rente » (soit 19 et 25, s’il s’agit d’une « rente » non encore fixée pour la seconde fois par la Commission agraire) : l’annuité à payer sera ainsi inférieure à la « rente » de 10 à 30 p. 100 (soit 20 à 40 p. 100). Le Trésor avancera au landlord le prix de vente, lequel lui sera remboursé par le tenant en 68 ans, au moyen d’une annuité de 3 1/4 p. 100 ; un huitième de cette annuité restera toutefois dû à perpétuité, comme sauvegarde légale pour la protection du homestead. En outre, le Trésor versera à chaque landlord vendeur une prime de 5 à 15 p. 100 en sus du prix de vente : il sera ouvert à cet effet un crédit de 12 millions de livres sterling, à employer en 15 ans, et dont la charge sera d’ailleurs compensée par les économies à faire sur le budget irlandais, de sorte que le cadeau apparent fait à l’Irlande ne coûtera rien à l’Angleterre.
    Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des critiques faites au bill par les Irlandais, et dont plusieurs sont fort graves. Disons seulement que, le 16 avril, une « Convention nationale irlandaise, » réunie à Dublin, a adopté le principe du bill sous réserve d’amendemens à obtenir en cours de discussion.
    Ajoutons que le bill contient quelques dispositions, très insuffisantes d’ailleurs, pour le développement des opérations du « remembrement » agraire dans l’Ouest, et pour la réintégration des tenants évincés au cours des guerres agraires.