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que, malgré les lois, ou, si l’on veut, en vertu des lois telles que les interprète la Commission agraire, la moyenne des « rentes » actuellement perçues en Irlande est encore excessive, et qu’il y a encore en Irlande un grand nombre, sinon une majorité, de « rentes » injustes ou, comme on dit là-bas, de rackrents[1].

La solution ? Il y a plus de vingt ans que les fondateurs de la Land League l’ont formulée : il faut rendre le paysan propriétaire de la terre qu’il cultive, en rachetant cette terre au landlord. C’est la solution simple, définitive, et c’est si bien la solution conservatrice de la question agraire que le gouvernement conservateur anglais a de lui-même commencé à l’appliquer, après expérience et sur petite échelle, en vertu d’une loi de 1891. Un landlord consent-il à vendre ? Le Trésor avance au tenant le prix d’achat, sous certaines garanties, puis se fait rembourser par lui au moyen d’annuités à longue durée dont l’intérêt et l’amortissement sont comptés à un taux assez bas, grâce au crédit britannique, pour que non seulement la charge annuelle de l’intéressé ne soit pas augmentée, mais qu’en fait elle se trouve réduite, si le prix d’achat n’est pas trop élevé, d’un quart ou d’un cinquième environ. Cela est parfait. Dès à présent, il y a en Irlande quatre-vingt mille paysans propriétaires, qui tous s’acquittent de leur dette envers le Trésor avec une régularité exemplaire. Pour eux, plus de landlord, plus de « rente, » plus d’affaires avec tous ces petits tyrans locaux qui s’appellent agens, receveurs, huissiers ; ils sont rois en leur domaine et heureux comme des rois : « Nous sommes comme un chœur d’anges, » disait l’un d’eux, ex-tenant de lord Dillon, en son langage imagé. — Il n’y a qu’un malheur, c’est qu’au train dont vont les choses, il faudrait près d’un siècle pour que tous les paysans irlandais fussent admis dans ce paradis ; en attendant, il leur faudrait continuer de payer des « rentes » normalement supérieures aux annuités payées par leurs voisins, les paysans propriétaires, et cependant l’agriculture continuerait de décliner, les rackrents de

  1. En voici deux raisons. Nombre de tenants sont d’abord exclus pratiquement de tout recours devant la Commission agraire. Puis nombre de « rentes » sont haussées par la Commission agraire à proportion des améliorations et mises de fonds faites par le tenant seul : en fait, plus il améliore le fonds, plus la « rente » à payer monte. Il est à noter qu’en règle générale le landlord irlandais n’a jamais fait d’avance au sol, et que d’ailleurs la moyenne des réductions opérées par la Commission agraire est inférieure à la moyenne des réductions survenues dans les fermages en Angleterre depuis vingt ans.