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second plan, en s’effaçant avec prudence derrière son collègue La Reynie, il se montra dans toute l’affaire le plus partial et le plus acharné contre le maréchal.


Cependant les douze autres membres de la Chambre de l’Arsenal témoignaient moins d’entrain que les deux commissaires à s’engager dans des poursuites dont l’issue leur semblait douteuse. Beaucoup d’entre eux avaient des inquiétudes sur la solidité du terrain juridique où l’on prétendait les pousser. C’est que, depuis quelques semaines, la mission qui leur incombait avait singulièrement changé d’importance et de gravité. La Voisin, en effet, et son compère Lesage, voyant leur procès suspendu par suite de leurs premiers récits, avaient senti croître leur zèle pour la morale publique et le bien de l’Etat. Le magicien surtout, avec un aplomb magnifique, stimule maintenant l’ardeur des magistrats, gourmande vertueusement leur mollesse, raille leur timidité, leur prodigue de haut ses conseils et ses encouragemens : « Il ne faut rien du tout épargner sur le fait des poisons, » leur dit-il d’un ton dogmatique. « Tout cela, Messieurs, est sans doute dangereux à éplucher, » mais, « si vous aimez votre Roi, » vous ne reculerez pas devant les « gens de qualité » qui fréquentent chez les devineresses. « J’ai déjà dit, — ajoute-t-il sévèrement, — pour le soutien de l’Etat et pour la véritable assurance du public, de ne jamais plus permettre ces sortes de commerces et d’assemblées… Servez-vous de la politique de ce rusé de Cromwell, qui ne voulait pas que l’on fût assemblé en Angleterre plus de trois ou quatre personnes ensemble. » Nul ne s’avise de rabrouer le drôle quand il pérore avec cette impudence, et les délations s’accumulent, tantôt fondées, tantôt et plus souvent inventées de toutes pièces, contre les plus illustres dames, les seigneurs les plus qualifiés.

Ces dénonciations, — en dépit du secret expressément prescrit, — commençaient à s’ébruiter à la Cour et dans le public. Malgré l’absence d’informations précises, les gens de haute volée, selon l’état de leur conscience, s’inquiétaient pour leur propre compte ou s’indignaient pour leurs amis. Le peuple, d’autre part, s’étonnait des atermoiemens de la mystérieuse procédure et réclamait qu’on fît promptement justice des empoisonneurs avérés. Ainsi l’opinion se soulevait peu à peu de tous côtés contre la Chambre ardente. Mme Cornuel disait hautement que