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la Napoléon, n’ayant d’autre ambition que de porter aux peuples la liberté et la civilisation, de briser des chaînes et non d’en imposer, n’avait rien à redouter pour son prestige et pour sa sécurité de l’accroissement d’un voisin. Cette Prusse, dont on l’épouvantait démesurément, n’était plus, comme au temps de Frédéric, une nation barbare, prête, sur un signe de son maître, à déborder hors de son territoire. Elle était devenue une nation intellectuelle, progressive, où le souverain n’avait pu que difficilement, dans un cas exceptionnel, faire prévaloir sa volonté sur celle de son parlement. Elle était plus forte qu’auparavant en Allemagne, elle n’y était pas encore la maîtresse absolue et elle y trouverait longtemps de sérieuses résistances, si nous ne lui rendions pas le service de resserrer l’union par nos interventions intempestives. La nouvelle constitution de l’Allemagne ne deviendrait menaçante que si nous nous mêlions de la régenter, de la contrôler, de la gêner. Il y avait d’ailleurs dans le monde d’autres puissances avec lesquelles nous pouvions nouer des alliances compensatoires : la Russie, qui dans tous les temps n’avait demandé qu’à s’entendre avec nous ; l’Autriche, dont les intérêts n’étaient plus distincts des nôtres ; l’Italie, qui, malgré des querelles de ménage, restait encore notre amie et n’oubliait pas ce qu’elle devait aux Napoléon.

Certainement il avait été d’une politique funeste de ne pas s’être opposé à cette guerre, de l’avoir non seulement permise, mais désirée, favorisée, sans que la France y eût d’autre intérêt que l’acquisition de la Vénétie par l’Italie, ce qui n’était pas un intérêt français. Il n’avait pas été correct d’abriter, sous le nom trompeur de neutralité, une partialité soit envers l’Autriche, soit envers la Prusse, suivant que c’était le ministre ou son souverain qui agissait. Il avait été maladroit de prononcer des discours à double entente, vagues, contradictoires, qui, voulant rassurer, créaient ou accroissaient l’inquiétude. Il avait été imprudent de faciliter l’agrandissement territorial de la Prusse et l’établissement d’une confédération moins étendue que l’ancienne et, pourtant, plus redoutable parce qu’elle était plus concentrée. La concentration de l’Allemagne sous un gouvernement fort était, depuis 1848, la passion populaire allemande, et ce mouvement venait de trouver à la fois son roi, son diplomate, son organisateur militaire, son stratège. Aurait-on pu l’arrêter longtemps ? Dans tous les cas, ce n’était pas au gouvernement français de