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n’étaient pas appuyées par une démonstration militaire. « Je puis, disait Randon, acheminer immédiatement à la frontière 80 000 hommes empruntés à la Garde, aux troupes réunies en divisions actives, à Paris, à Lyon, au camp de Châlons, organisées et pourvues du nécessaire, soutenues par huit mille chevaux et cent pièces de canons attelées. Je vous promets en vingt jours la mise sur pied de 250 000 hommes répartis en deux armées, une de 140 000 hommes sur le Rhin, l’autre de 110 000 environ à Lyon. » Le décret de mobilisation était préparé : il n’y avait qu’à le signer. Enfin, l’appel total des réserves eût élevé nos forces disponibles à 450 000 hommes[1].

« — 80 000 hommes immédiatement disponibles, c’est trop, dit Drouyn de Lhuys ; 40 000 hommes suffisent. Des gardes champêtres suffiraient. » — Afin que son affirmation ne parût pas une jactance ridicule, il expliqua que la Prusse était victorieuse, mais hors d’état de tenter un effort quelconque en dehors de la Bohême, très éloignée de sa base d’opérations, et dans une situation qui, au moindre accident, deviendrait critique. Dans les provinces rhénanes, il n’y avait que deux régimens, qu’on faisait voyager incessamment par chemin de fer en changeant leur numéro, afin d’en multiplier le nombre à nos yeux. Le roi Guillaume ne pouvait s’exposer à être seul, en présence de la France, de l’Autriche ayant encore des forces considérables, de la Bavière, du Wurtemberg, de la Hesse, des duchés de Rade et de Nassau dont les armées étaient intactes. Placé entre la crainte de tout perdre et la nécessité de nous satisfaire, entre une catastrophe et une concession, il opterait sans aucun doute pour la concession, et, en s’arrondissant, nous accorderait de larges compensations sur nos frontières. Ainsi, il n’y avait pas à redouter qu’une guerre sortît d’une démonstration militaire, et d’autre part, si nous ne nous y décidions pas, nous allions laisser échapper une occasion unique de réparer sans coup férir nos brèches de 1815. Le Roi, Bismarck et tous les Allemands avaient

  1. Ces affirmations de Randon, fondées sur des documens officiels incontestables, ont été confirmées par Trochu, qui n’est pas suspect de partialité à l’égard de l’Empire (Déposition dans l’enquête sur le 4 septembre) : « Si la Prusse avait eu sur ses derrières un corps de 80, de 70, de 60 000 hommes, si vous voulez, car ce chiffre n’a ici qu’une importance relative, entre Strasbourg et Metz, et les élémens de ce corps étaient sous la main en grosses masses à Lyon et à Paris, en petites masses à Metz, Strasbourg et Nancy, la Prusse ne pouvait pas entraîner toutes ses forces vers le Sud-Est, ayant sur sa frontière même cette grosse menace politique et militaire. »